10 avril 2021. Terrass’Hôtel, rue Joseph de Maistre

Hôtels sans voyageur·euses

Soline Nivet est architecte. L’architecture constitue son point de vue et d’écoute sur le monde, tel qu’il s’est fondé, se construit, se répare. Professeure HDR à l’ENSA Paris-Malaquais-PSL, elle y dirige le séminaire Enquêtes architecturales. Créations documentaires, expositions, livres ou articles de recherche, ses travaux interrogent principalement la place et le rôle de l’architecture dans l’histoire sociale et culturelle de la région parisienne (★★★)

PARIS PRINTEMPS 2021

J’habite à Paris, entre la gare du Nord et Montmartre. En face de chez moi, un hôtel qui accueillait surtout des groupes scolaires britanniques a été fermé pendant le premier confinement au printemps 2020. Il n’avait pas rouvert, jusqu’à ce que j’y observe l’arrivée de dizaines de femmes seules avec leurs bébés. L’idée d’une enquête de terrain1 à propos des hôtels parisiens en temps de crise sanitaire commence ici, au printemps 2021, en pleine pandémie de Covid-19.

En avril 2021, les règles d’un troisième confinement nous enjoignent une fois de plus à ne pas voyager et à travailler à distance. Mon quartier est celui des gares, des grands magasins, des cinémas et des touristes. Que sont devenus tous ses hôtels lorsque plus personne ne voyage ? Ne me déplaçant plus que dans un rayon restreint et soumise à un couvre-feu, j’ai trouvé mon protocole. Je me concentrerai sur le 9e arrondissement et ses pourtours avec pour seules règles d’arpenter les rues alentour, entrer systématiquement dans les hôtels ouverts, engager la conversation avec les gérant·es et concierges, prendre en photo les façades, noter quelques détails. J’entame alors un petit carnet de terrain, et remets chaque soir au propre mes notes sur un fichier word.

Quatre ans plus tard, je me souviens encore des rues désertes et du masque à porter à l’extérieur, du silence dans ces hôtels vides ou presque, dont j’ai rarement pu dépasser le hall. Mais de quoi d’autre ? Je réouvre mon fichier et retrouve mes photos. Qu’ai-je conservé finalement de ce printemps 2021 ? Presque rien, une litanie de noms, de nombres de chambres, de taux d’occupation, des prix. Derrière ce presque, des offres éphémères pour télétravailleur·ses ou happy few, et l’ombre de ces ouvrier·es, mères isolées et exilé·es qui ont alors servi de variables d’ajustement pour remplir les hôtels parisiens.

1er AVRIL 2021

Troisième confinement sur l’ensemble de l’hexagone. Fermeture des établissements scolaires, crèches, restaurants, magasins. Couvre-feu à 19h.

7 AVRIL, EN DESCENDANT VERS L’OPÉRA

ZE Hôtel****, rue de la Tour d’Auvergne
26 ch. « Réservables à la nuit, journée, demi- journée ».

Hôtel des Arts*, rue Rochechouart
Meublé. Resté ouvert.

Monsieur Cadet****, rue Cadet
29 ch. SPA à disposition exclusive des client·es. Hôtesse peu aimable, méfiante, ne veut pas répondre à mes questions.

Hôtel Gerando**, 11 rue Gérando

Vintage Hôtel, rue de Dunkerque
48 ch. Transformées en 91 « places », toutes occupées par des mères isolées avec leurs nourrissons. Dans le hall, une responsable de l’association France Horizon m’explique que le Brexit puis le Covid-19 ont convaincu les propriétaires de signer une convention en automne 2020 pour que l’hôtel soit transformé pour au moins 3 ans en résidence sociale. Repas livrés chaque jour, pas de cuisine sur place, seulement une tisanerie pour préparer les biberons. Pour respecter la jauge sanitaire, une rotation horaire contraint l’accès à la salle commune du rez-de-chaussée. J’en déduis que les femmes passent tout le reste du temps seules avec leurs bébés, dans leurs chambres. Je croise ces nouvelles voisines seulement au Franprix, lors de leur seule sortie quotidienne pour acheter des petits-pots pour leurs bébés

Hôtel de Touraine****, rue Taitbout

Meurice, Palace*, rue de Castiglione Fermé.
Seule la pâtisserie est ouverte. Une offre en ligne « Le Meurice à la maison » permet d’y 63 commander des gâteaux.

Hôtel Kimpton Saint-Honoré*, boulevard des Capucines
Beau bâtiment de l’architecte Frantz Jourdain, en travaux. « À cette adresse de 12 000 m2, un hôtel de luxe de 149 clefs, doté d’un centre de conférences, d’un spa-piscine, d’un restaurant d’inspiration californienne et d’un bar-roof top au 10e étage. L’investisseur et propriétaire des lieux, Axa Real Investment Manager a décidé en 2016 de redévelopper cet immeuble mixte de bureaux, logements, et commerces ».

7 AVRIL, EN REMONTANT VERS LE SQUARE D’ANVERS

Le Scribe*, rue du Scribe
Offres et formules sur Staycation.com2. Paraît vide.

Le Chess****, rue du Helder
Vient de fermer. Avait proposé entre les 2e et 3e confinements, des offres de chambres-bureaux à la journée pour 49 € / jour.

Le 10 Opéra***, rue du Helder
Chambres « bradées » à 50 €.

Le Mogador***, rue de la Victoire
17ch. Ont « profité de la fermeture du premier confinement pour refaire les peintures ». Prix divisés par deux. Chambres occupées par des ouvriers d’entreprises de BTP qui ont des chantiers à proximité, aux Galeries Lafayette par exemple. Ils arrivent avant 19h puis se font livrer leur diner par Ubereat ou Deliveroo. Le lendemain, un sachet de petit déjeuner est déposé devant leur porte. Personnel en chômage partiel, ménage par un prestataire extérieur.

Hôtel de Paris St Georges, rue de Pigalle Très vieillot.

Hôtel Saint Georges Lafayette**, rue Victor Massé.

Grand Pigalle Hôtel / Frenchie Pigalle****, rue Victor Massé
Restauration dans la chambre et « baignoire glamour ».
« On a cartonné à la Saint Valentin en proposant des forfaits romantiques de voyages sur place
à une clientèle de couples de 35 ans environ, sans enfants. On a tâtonné pendant plusieurs mois
sur la formule mais là notre marketing de leisure de proximité est hyper rodé ».

Grand Hôtel de Turin***, rue Victor Massé
51 ch. Ouvriers logés ici par leur entreprise pour 40 € la chambre.

« Avant le Covid on avait les cadres et les ouvriers allaient plus loin dans des low-cost en banlieue, mais maintenant que les cadres sont en télétravail… ».

8 AVRIL, VERS LA GARE SAINT-LAZARE

Hôtel Amour****, rue Navarin
24 ch. Offres « glamour » pour ce « lieu de vie où l’art et la mode se rencontrent. »

« Confinez-vous chez nous et dînez aux chandelles dans votre chambre pour 159 €. Une bouteille de champagne « Amour », accompagnée d’une assiette de fruits, ainsi que l’assortiment de 2 verres gravés « Amour » vous seront offerts à votre arrivée. Profitez de votre chambre jusqu’à 14h le lendemain ».

Grand Hôtel De Normandie****, rue d’Amsterdam

9 AVRIL, VERS LA CITÉ BERGÈRE ET LE FAUBOURG MONTMARTRE

Jeff**, rue Richer
Pas pu rentrer.

34 B Hôtel***, rue Bergère
130 ch. Ferme demain. Ce soir une seule chambre est louée, au quart du prix, ce qui oblige à la présence d’un gardien de nuit et d’une personne pour apporter le petit déjeuner dans la chambre demain matin. Le manager se plaint :

« Depuis juin dernier, ces prix cassés nous amènent une clientèle bien pire que celle des Formule 1 ! On n’a attiré que quelques clients louches et bruyants, je ne vais pas vous faire un dessin, on préfère arrêter. »

En partant, je croise les deux seuls clients qui dormiront ici ce soir. Un couple de très jeunes hommes, qui « arrivent du 93 juste avant le couvre-feu ». Visiblement intimidés, mais un peu émerveillés aussi. J’ai l’impression qu’ils viennent ici pour mettre à l’abri une idylle toute neuve. Mais je n’ose pas leur poser la question.

Hôtel Corona****, cité Bergère

Les cinémas sont toujours fermés, mais dans le 12e arrondissement, le cinéma mk2 Paradiso vient d’ouvrir : dans cet hôtel-cinéma****, écran de 3 mètres dans chaque chambre, programmation dédiée, champagne et pop-corn.

Hôtel Basss***, rue des Abbesses

12 AVRIL, DU CÔTÉ DE LA GARE DU NORD

Avalon Hôtel***, boulevard Magenta
72 ch. dont 28 occupées. Clientèle locale, liée notamment à l’hôpital Lariboisière tout proche (soignant·es et familles). La chambre reconvertie en bureau (lit ôté) et proposée à 59 € la journée n’a jamais trouvé preneur·se.

Cambrai Hôtel, boulevard Magenta
En convention avec le Samu Social depuis l’automne dernier.

Hôtel Maubeuge Gare du Nord**, rue de Maubeuge
A fermé entre mars et août 2021, essayé de redémarrer en septembre puis s’est « résolu » à conventionner en octobre 2021 avec le Samu Social (30/30ch.). 30 chambres, toutes occupées par des femmes enceintes ou/et des couples avec bébé.

Devant le terminus nord

Timhotel***, rue St Quentin
44 ch. dont 13 occupées. Avant la clientèle était surtout internationale. Aujourd’hui elle est originaire de Paris et de sa proche banlieue « des jeunes qui font la fête dans les chambres », quelques voyageur·ses, en correspondances entre deux trains ou venu·es voir des proches hospitalisé·es à Lariboisière.

Hôtel des Belges, rue St Quentin
« Ouvert comme d’habitude, pourquoi ? ».

Le Picardy**, rue de Dunkerque
Chambres « en promotion » à 59 €.

L’Hôtel Habituel****, rue du Faubourg-Saint-Denis
30 ch. Vide, uniquement ouvert « par peur du squat ».

Le Vieille France, rue Lafayette
Très modeste. Meublé ?

Ibis Lafayette, rue Lafayette
49 ch. dont 20 occupées. Le tarif de la chambre simple est passé de 280 à 84 €. Quelques voyageurs en transit ou dans l’attente de leur PCR3 pour rentrer.

« Depuis le début de la crise sanitaire, on a aussi passé une convention avec la RATP. Une chambre est réservée dans la journée pour le repos des chauffeurs du bus n°91, leur terminus est à côté ».

25 AVRIL

Dans le 1er arrondissement, un hôtel propose ses chambres à des étudiant·es pour 1 € par jour.

29 AVRIL, EN PARTANT VERS LA PLACE DE CLICHY

Hoy Paris, rue des Martyrs
19 ch. Dont 15 régulièrement occupées. La devanture ressemble à une boutique de fleuriste et annonce des cours de yoga. La directrice du restaurant me précise le concept : soins, yoga, thérapie, gastronomie vegan pour un tourisme haut de gamme international mais aussi pour les parisien·nes et les habitant·es du quartier.

« Nos chambres sont presque toutes occupées le week-end depuis le début du confinement, essentiellement par des parisiens en télétravail qui laissent leurs enfants à une baby-sitter pour faire ici une “retraite” ou un “break” à 255 €/ nuit / personne. Nous n’avons surtout pas baissé nos prix, car nous collions au schéma Covid, alors nous avons plutôt cherché à inventer d’autres expériences. Par exemple: ce panier chic à emporter 120 € comprenant un dîner pour deux personnes, un bouquet de fleurs et d’une playlist sur mesure ».

Hoy Hôtel*, rue des Martyrs,
forfaits retraite

Mercure-Montmartre****, 5 rue Caulaincourt, place de Clichy
305 ch. « L’hôtel est fermé mais venez travailler ! ». Au rez-de-chaussée et à l’étage, le lobby et la salle de petits-déjeuners avaient déjà été trans- formés avant le confinement en espaces de coworking gérés par la marque Wojo, propriété à 50/50 des groupes Bouygues et Accor4 qui cherchaient depuis plusieurs années à rentabiliser ces espaces et ces plages horaires « perdues pour l’hôtellerie ». Parmi les sept personnes qui télétravaillent ici ce matin, un habitué, consultant Big Data en free-lance pour une société qui le salariait jusqu’au premier confinement, puis l’a licencié. Il habite à 20 minutes à pied d’ici. Ni trop près ni trop loin, cela faisait partie de ses critères et il apprécie la neutralité de l’endroit.

« Il n’y a aucun des codes bidons du coworking, ce n’est pas « fake », et on n’est pas bombardés de messages positifs ni d’injonctions bidons, et il n’y a pas de déco dédiée ».

Au premier étage, 3 des 7 chambres transformées en bureaux (louables à la journée, à la semaine ou au mois) sont actuellement occupées de 9h à 18h30, dont une par une écrivaine qui y termine son roman. Le reste de l’hôtel est fermé, personne n’y dort jamais, donc. Lorsque je lui fais remarquer que cela fait seulement dix client·es en tout, le directeur me répond que cela paye les charges d’électricité et de maintenance. Cela m’étonne un peu.

Ibis Montmartre, rue Caulaincourt, place de Clichy

326 ch. Même bâtiment que le Mercure, porte à côté. Toute autre ambiance. Dans le hall vide, une petite table, deux chaises et un radiateur à bain d’huile en guise d’accueil pour le Samu social. Sur la table, une boîte de fiches cartonnées. L’hôtel a passé une convention au printemps 2020 pour que 56 de ses chambres soient réservées au Samu social. Une centaine d’hommes ont d’abord été hébergés ici à la suite du démantèlement du camp de migrants de la porte de la Villette au printemps 2020, regroupés sur les deux niveaux 6 et 7, dans des chambres à deux lits. Deux agents de sécurité par étage contrôlent les allées et venues. Un travailleur social m’indique que les Ibis de Jaurès et de la Villette accueillent aussi chacun jusqu’à 200 personnes.

Gold Hôtel***, boulevard de Clichy

30 AVRIL, DANS L’ENTRE-DEUX GARES ET VERS LA GARE DE L’EST

Midnight hôtel***, rue du Faubourg-Saint-Denis
25 ch. En contrat avec le Samu social jusqu’à fin mai 2021. Femmes ou couples avec enfants. 67 Certain·es résident·es sont là depuis presque un an. Leurs enfants ont-ils été scolarisés dans le quartier ?

Holiday Inn****, rue du 8 Mai 1945

Ibis Style***, boulevard de Strasbourg
37 ch. dont 12 occupées. Prix des chambres divisé par deux. Dans le hall un espace de coworking ouvert avant le Covid a été refermé depuis pour non-conformité au règlement sanitaire. Cet espace avait un seul habitué du quartier (« un intermittent du spectacle »), les autres utilisateur·ices étaient des voyageur·ses entre deux trains. La manageuse annonce un prix exorbitant à un homme dont elle ne veut pas (« un mac avec sa pute ») qui repart. Elle n’affiche plus ses tarifs mais les annonce à la tête des client·es : depuis que les chambres sont bradées, la clientèle a changé avec « pas mal de comportements inadéquats ». Le groupe Accor aurait aussi transmis des possibilités de convention avec le Samu ou les hôpitaux, mais ici, le gérant n’a pas voulu. « On venait de tout refaire et on ne voulait pas que l’hôtel soit saccagé, l’hôtel d’Alsace à côté a été réquisitionné par la préfecture, on se doutait bien qu’ils étaient dans le viseur. »

Libertel, rue du 8 mai 1945
70 ch. bradées à 50 %.
L’offre de deux chambres-bureaux (lit ôté, avec table à la place) était déjà en place avant 2020 pour 80 € / jour. Elles sont régulièrement occupées. Mais le concierge veut me parler d’autre chose et me dit d’un air entendu :

« Vous voulez savoir ce qui a vraiment changé ici ? Le day use ! Le 5 à 7 ne s’est jamais porté aussi bien! Surtout en semaine ! Et pourtant… le prix en journée n’a jamais baissé ».

Ibis Hôtel***, rue Saint-Laurent

Appias***, rue des Deux Gares
42ch. dont 17 occupées. N’a jamais fermé. Clientèle fidèle des sociétés ferroviaires pour leur personnel.

Hôtel d’Amiens***, rue des Deux Gares
Samu social depuis cet hiver

Paris Nord**, rue de Dunkerque
« Vide ! » me dit le gardien. Toutes les clés sont effectivement au tableau, mais j’ai l’impression qu’il ne me dit pas tout.

1er MAI

Ouverture de la vaccination aux personnes de plus de 18 ans en situation d’obésité ou souffrant de comorbidités.

3 MAI

Fin des attestations en journée et des restrictions de déplacements. Retour en classe pour les collèges et lycées.

5 MAI

Lorsque je me déplace ailleurs dans Paris, je reconnais maintenant facilement les hôtels occupés par le Samu Social. Les tarifs ont été désaffichés et un film translucide a été posé pour masquer la vue sur les halls. Au travers, la silhouette d’un agent de sécurité ou des poussettes en nombre.

10 MAI

Ouverture de la vaccination aux plus de 50 ans.

15 MAI

Mediapart consacre une enquête5 aux restaurants clandestins dans plusieurs hôtels de luxe parisiens.

17 MAI, PLACE DE CLICHY

Mercure-Montmartre****, rue Caulaincourt, place de Clichy
L’hôtel est toujours fermé mais l’agitation est palpable au premier étage : travaux, entretien, coup de fils. La réouverture du bar et de la terrasse est prévue dans deux jours.

19 MAI

Réouverture des terrasses, cafés, bars et restaurants (tables de 6 personnes maximum) ; des commerces, musées, monuments, cinémas, théâtres et salles au public assis, établissements sportifs de plein air et couverts pour les spectateur·ices. Rassemblements de plus de 10 personnes interdits. Le couvre-feu passe de 19h à 21h.

31 MAI

Ouverture de la vaccination à toutes les personnes de plus de 18 ans.

9 JUIN

Réouverture des salons et foires d’exposition, possibilité d’accueillir jusqu’à 5 000 personnes et retour des touristes étranger·es muni·es d’un pass sanitaire.

15 JUIN, PLACE DE CLICHY

Ouverture de la vaccination pour les 12-18 ans.

Ibis Montmartre, rue Caulaincourt, place de Clichy
Je retourne à l’Ibis Paris-Montmartre. Le hall est plus animé. Je remarque des personnes qui viennent chercher ou déposer ici leurs colis UPS. L’hôtel assure maintenant un service de conciergerie pour une startup (@the corner) qui permet aux touristes de récupérer au desk de l’Ibis les clés… de leur Airbnb dans le quartier! La guérite et sa boîte à fiches ont disparu et le responsable du Samu social se tient désormais plus discrètement dans un angle mort à l’extrémité du desk, à plusieurs mètres de la réceptionniste de l’hôtel. Le directeur me donne un détail qui me manquait : c’est lui qui a sollicité le Samu social en juin 2020, et non l’inverse.

« Nous avions déjà travaillé avec eux, nous leur proposions déjà des créneaux en cas de faible activité, car cela nous permet de faire au moins 15 points d’occupation. Le client est sûr puisqu’il s’agit de la mairie de Paris et personnellement je trouve que c’est une aberration de ne pas ouvrir les hôtels vides aux gens qui sont dans la rue. »

Il ne veut pas m’indiquer le prix facturé par Accor au Samu social pour la nuitée.

« On a gardé les étages 8 et 9 pour les clients et fermé tous les autres. Les vues basses sont
compliquées, surtout en ce moment car elles donnent sur le cimetière ! Les dix premiers jours ont été
très durs : est arrivée ici toute la détresse du monde avec des problèmes de violence, de santé, de toxicomanie. Il a fallu mettre au point des règles strictes de comportement et de tenue vestimentaire. Du côté des clients de l’hôtel, les réactions ont été décevantes, choquantes, racistes, mensongères. Nous avons eu beaucoup d’avis négatifs et discriminants sur les plateformes. Pourtant ils ne croisaient les résidents du Samu social que dans le hall, même pas dans l’ascenseur qui avait été mis en mode taxi pour séparer les étages. […] Nous ne pensions pas que cela durerait aussi longtemps, juste quelques mois pour passer l’été 2020, mais maintenant c’est nous qui leur demandons de prolonger au moins jusqu’à fin août ! ».

17 JUIN
Levée de l’obligation générale du port du masque en extérieur.

20 JUIN
Levée du couvre-feu sur tout le territoire national.

30 JUIN
Limites de jauge levées dans les établissements recevant du public (cinémas, restaurants, magasins.). Reprise des festivals et concerts debout.

OCTOBRE 2023
En passant devant le Vintage Hotel, je remarque les femmes et leurs bébés sur le trottoir avec leurs affaires. Un bus les attend. Le mois suivant, tout le mobilier est évacué. Les travaux de rénovation dureront ensuite jusqu’au printemps 2024.

MARS 2024
Un matin, le camion qui livre la nouvelle literie bloque longtemps la circulation de la rue. On me précise que l’hôtel va pouvoir rouvrir ce mois-ci « à temps pour les Jeux Olympiques ». Le site internet a été réactualisé, les tarifs aussi :

« À la recherche d’une expérience parisienne authentique ? Le Vintage vous offre un séjour mémorable au cœur du 9 e arrondissement dans le charme unique de Paris ».

10 avril 2021. Terrass’Hôtel, rue Joseph de Maistre
  1. Cette enquête a pris place dans une action ponctuelle intitulée « Veille Hôtels Tourisme Covid / Paris Grand Paris », portée par l’UMR AUSser et réalisée avec mes collègues Virginie Picon-Lefebvre et Joanne Vajda des ENSA Paris-Belleville et Paris-Malaquais, ainsi qu’Emma Talarico et Nour Sadsi El Idrissi, étudiant·es en master 1 dans le cadre d’un stage entre avril et juillet 2021. Menée à Paris intramuros, cette action a été découpée en quatre temps : enquêtes sur des « terrains échantillons », recueil des données et des fonds cartographiques, prises de contact avec acteurs institutionnels ; puis construction d’une typologie de situations et détail de quelques études de cas. Elle a conduit à un rapport collectif intitulé Veille sur l’hôtellerie parisienne pendant la crise sanitaire du Covid-19. Chacun·e d’entre nous ayant d’abord enquêté autour de son domicile, les pages qui suivent reprennent uniquement mes propres notes de terrain. ↩︎
  2. Néologisme obtenu à partir des mots anglais stay (rester) et vacation (vacances), le terme « staycation » désigne une pratique consistant à passer ses vacances près de chez soi, voire chez soi. Approprié en 2017 par une startup éponyme, il a suscité une nouvelle dynamique pour le secteur hôtelier en proposant de commercialiser ses nuitées disponibles à une clientèle locale et plus jeune sous forme d’« expériences inédites ». ↩︎
  3. PCR : Test de diagnostic moléculaire réalisé sur des échantillons prélevés dans les conduits nasaux, mettant en évidence la contraction ou non d’un virus par une personne. Au printemps 2021, un test PCR négatif au SARS COv2 datant de moins de 24h était obligatoire pour voyager. ↩︎
  4. Accor, premier groupe hôtelier en Europe et sixième à l’échelle mondiale, dispose en 2021 d’un portefeuille d’une quarantaine de marques qui couvrent l’ensemble des gammes du secteur hôtelier. Ses principaux actionnaires financiers sont alors des groupes chinois (Jing Jiang 13 % et Huazhu, 6 %), qataris (11,3 % QIA) et saoudiens (6,3 %). Depuis 2018, le groupe Accor poursuit une politique de cessions en vendant ses actifs immobiliers à une partie des actionnaires de son pôle AccorInvest, dont il ne détient alors plus que 30 %. ↩︎
  5. Voir https://www.mediapart.fr/journal/france/140521/ restos-clandestins-les-astuces-des-palaces-parisiens, consulté le 12 mars 2025. ↩︎

Cet article a été imprimé dans le numéro ci-dessous,
il n’est plus en accès libre