Ce que peuvent les ruines

-édito- Nous avons suspendu le Libre de Plan Libre, par quatre étoiles. Plan Libre devient Plan L pour s’émanciper d’un héritage moderne et humaniste encombrant. Nous conservons le terme Plan, comme la promesse d’un projet à conduire et d’une surface à habiter malgré tout. Cette suspension n’est pas un effacement. Elle ouvre un nouveau moment de la revue, une affirmation du projet éditorial qui s’est tissé au cours des dernières années et une modification des moyens de production.

Plan Libre est né il y a 20 ans, porté par la nécessité d’établir à Toulouse un espace critique pour fédérer et informer les architectes et les métiers de l’architecture. Le projet éditorial s’est développé, passant d’une lettre d’information professionnelle à un lieu de valorisation du patrimoine architectural et de la production contemporaine en Occitanie. La facture de Plan Libre témoignait à la fois d’une économie précaire et d’une forme de banalité de l’objet fabriqué par des non-professionnels de l’édition ( 1 ). Aujourd’hui, la production contemporaine en architecture est largement diffusée en ligne. Le déficit de visibilité qu’accusaient les régions les plus reculées des lieux de production éditoriale (Paris) n’est plus prégnant. Cette hypervisibilité a paradoxalement réduit la portée des espaces de réflexion, de critique et de théorie dédiés à l’architecture. Plan Libre est devenu un de ces rares lieux d’écriture.

La revue devient trimestrielle, adopte un plus petit format, relié par agrafes. L’imaginaire du journal laisse place à celui du fanzine. Plan L reste un objet de facture rudimentaire, porté par une économie associative. Le projet éditorial s’attache à écrire d’autres histoires, celles des confins de la discipline, celles des oublié.e.s de la modernité. Ce faisant, Plan L sonde les conditions du projet d’architecture aujourd’hui.

Si notre aujourd’hui est bien un temps de ruines, ces dernières ont une saveur nouvelle. Ce que peuvent les ruines fait l’hypothèse d’un devenir ruine comme projet. Il ne s’agit pas d’esthétiser la destruction. Nous souhaitons dépasser la tentation romantique de la contemplation d’un monde finissant et le tragique vaniteux de la célébration des ruines comme formes. Des ruines de quoi ? Des ruines de Rien, s’étonne Bouvard face à la construction faussement détruite de Pécuchet ( 2 ).

La ruine, pensée comme une structure qui se déforce et qui, dans un équilibre précaire, laisse advenir l’imprévu, l’indéterminé, se tourne alors vers un avenir radieux. L’architecture y est instable et de second plan. Les ruines de ce numéro, comme les ruines de nos quotidiens, sont examinées pour leur capacité d’agir, ou de laisser agir ★

MBL Architectes

( 1 ) Collectif, 2023. 200 PLAN LIBRE Anatomie d’un journal d’architecture. Édition Maison de l’Architecture Occitanie — Pyrénées.
( 2 ) Flaubert, Gustave, 1881. Bouvard et Pécuchet.

 

Medea. Pour une écologie des ruines par Julie Beauté • Analyse d’une ruine comme écosystème par Émile Goyard Dans les ruines de la forêt par Paulo Tavares • Liminalité ou l’espace-temps des devenirs par Tiphaine Abenia • Sandfuture. Des effondrements télévisés par Justin Beal • Architecture auto-destructive par Florian Jomain • Espérance de vie nulle par Bruce Bégout • Figures de la ruine et de l’absence au Japon par Murielle Hladik