Construire des images

-édito- La génération d’architectes née au cours du dernier quart du 20e siècle a découvert, appris et pratiqué l’architecture dans un monde qui s’infusait d’images. La production, la circulation de représentations, en résolutions et formats équivalents mais différents, a façonné une nouvelle culture de la conception. Cette fluidité de l’image, son ubiquité, a introduit dans la pensée et la fabrication de l’architecture un biais pittoresque et photogénique.

Ces architectes, pour la plupart natifs numériques, ont instauré un rapport nouveau aux histoires de l’architecture devenues disponibles. Il faut préciser que cette accessibilité des cultures architecturales n’est pas livresque mais picturale. En conséquence, cette connaissance de l’histoire se focalise sur les formes visibles des architectures, parfois au détriment de leurs raisons d’être. Cette re-connaissance de l’histoire, aussi lacunaire soit-elle, a permis de resituer les pratiques des architectes dans un réseau de pensée collective, qui se construit et s’enrichit depuis des siècles, de projet en projet.

La fabrication d’images, cette « imagerie » de l’histoire, a également produit des architectures qui souhaitent prendre en charge leurs représentations. L’architecture émet de l’image. Une industrie culturelle portée par des revues, plateformes, événements et expositions s’est construite autour de la diffusion de ce contenu visuel. Elle instaure un nouveau circuit de reconnaissance pour les architectes et dilue les cultures professionnelles, populaires et commerciales. L’architecture y existe par l’image et appelle à être photographiée.

Pittoresque, l’architecture s’inscrit dans une pensée par l’image. Photogénique, elle se pense comme émettrice d’images. P. B. Preciado, en étudiant la réception de la Villa Farnsworth de Mies van der Rohe, et particulièrement les rumeurs qui ont accompagné sa construction et le mode de vie d’Edith Farnsworth, introduit le terme « d’architecture seconde » ( 1 ). Cette architecture seconde serait alors l’articulation de représentations qui entourent un projet et qui sont à même de reconstruire la réalité tangible de sa construction. Un peu plus tôt, Le Corbusier, pour la publication relative à la Villa Schwob, avait déjà fait retoucher les images par aérographe afin d’en supprimer la pergola d’inspiration vernaculaire et d’affirmer a posteriori la modernité de ce projet ( 2 ). Cette architecture seconde, double médiatique de la construction, est désormais entrée dans la culture de conception et l’exercice de l’architecture. Elle instaure un rapport ambigu aux images, à la fois ressources pour penser et diffuser les cultures architecturales et émanations du projet détachées d’une réalité observable, d’une architecture construite ★

Sébastien Martinez-Barat

( 1 ) P. B. Preciado, Mies-conception, la maison Farnsworth et le mystère du placard transparent in Multitudes n°20, 2005.

( 2 ) S. Martinez-Barat et B.Lafore, Les Spectateurs anxieux de l’architecture, in Palais n°11, 2010.

 

What if ? par Silvia Garcia Camps • Survivances des augures par Anne Frémy • Photographier ce qui n’existe pas encore par Olivier Campagne • Notes sur l’iconomie par Peter Szendy