Inondables

-édito- Une image récurrente traverse sous diverses occurrences le cinéma populaire depuis la fin du siècle dernier. On y voit une masse informe d’eau numérique s’engouffrer brutalement entre les volumes rigides des rues bordées de constructions. Dans « Les images du désastre », Susan Sontag commentait les images de catastrophes que le cinéma hollywoodien produisait déjà industriellement dès les années 1950. Elle y voyait un déplacement d’une narration focalisée sur la figure humaine vers un drame des objets, des éléments : « le rôle principal, dans ces films, est réservé aux choses » ( 1 ). Qu’elle se raréfie ou submerge les terres, l’eau est devenue le protagoniste premier des imaginaires catastrophistes et des prévisions scientifiques.

Canicules et inondations sont désormais deux phénomènes entrés dans la banalité climatique. Dans ces deux calamités, l’eau si bien conduite, canalisée, disponible et assainie depuis des siècles, reprend le « rôle principal ». Loin des représentations romantiques du cinéma populaire, la submersion des terres, par les crues et les pluies, s’avère désormais triviale, souvent prévisible et anticipée. Les inondations ne sidèrent plus. Elles nous engagent alors vers une nouvelle diplomatie de l’eau.

L’ensemble des contributions de ce numéro évoquent de nouveaux paradigmes esthétiques, politiques et opérationnels promis par une complicité retrouvée entre l’eau placide ou déferlante et les établissements humains. Il ne s’agit plus de subir les inondations, mais de les accueillir, de « vivre avec les eaux sauvages » selon Éric Daniel-Lacombe. L’hydroféminisme, comme l’énonce Kuralai Abdukhalikova, devient la posture épistémologique d’un devenir-liquide, promettant de nouveaux modes de luttes émancipateurs. Du passage de l’ouragan Sandy en 2012 jusqu’à la reconstruction d’un récif peuplé d’huîtres, les architectes américains de SCAPE Landscape font le récit de plus de 10 ans de recherches pour retrouver une relation conviviale entre les habitants de Staten Island et les eaux de la baie. Enfin, les cartes des méandres du Mississippi rappellent que le sol et le flot de l’eau se conforment et se déforment sans cesse et que seul un moment d’équilibre nous permet de penser que l’eau s’écoule sans conséquences ★

Sébastien Martinez-Barat

( 1 ) Susan Sontag, « Les images du désastre » in L’Œuvre parle, 1965

 

Les méandres du Mississippi par Harold Fisk, pour le Corps du génie de l’armée des États-Unis • Be water, my friend. À propos d’hydroféminisme par Kuralai Abdukhalikova • Des huîtres contre la montée des eaux par Nans Voron • Vivre avec les eaux sauvages par Éric Daniel-Lacombe