Mise aux normes
-édito- Un corps en mouvement simplifié en quelques traits, une flèche pour la direction et un rectangle blanc pour une porte, une sortie. Le Bloc Autonome d’Éclairage de Sécurité est une expression commune des normes qui régulent l’architecture et conduisent les corps qu’elle contient. Les directives sont claires « suivez-moi ! » Et l’enjeu capital puisqu’il s’agit de la vie elle-même.
Au travers d’un exemple resté célèbre, publié dans Idéologie et appareils idéologiques d’État(1), Louis Althusser illustre ce qu’il nomme « l’interpellation » et qui renseigne sur les manières dont l’individu est assujetti par la reconnaissance d’une norme, d’un appareil réglementaire. « L’idéologie agit ou fonctionne de telle sorte qu’elle recrute des sujets parmi les individus (elle les recrute tous), ou transforme les individus en sujets (elle les transforme tous) par cette opération très précise que nous appelons l’interpellation, qu’on peut se représenter sur le type même de la plus banale interpellation policière de tous les jours : “ Hé, vous, là-bas! ”. Si nous supposons que la scène théorique imaginée se passe dans la rue, l’individu interpellé se retourne. Par cette simple conversion physique de 180 degrés, il devient sujet. Pourquoi? Parce qu’il a reconnu que l’interpellation s’adressait bien à lui, et que “ c’était bien lui qui était interpellé ”. » L’interpellation implique une reconnaissance complice du sujet interpellé.
Si nous considérons à nouveau le BAES, il nous apparaît comme un de ces appareils idéologiques que nous reconnaissons et qui en s’éclairant nous recrute. Il nous interpelle, nous guide, et ce faisant nous implique dans l’histoire désastreuse qu’il convoque. Son apparition et sa normalisation débute avec l’incendie de la ligne 2 du métro parisien en 1938 et se poursuit au fil des événements tragiques qui engagent à préciser la réglementation incendie. Cette dernière normalise l’architecture pour un désastre théorique qui n’aura certainement jamais lieu. Parmi toutes les normes qui s’appliquent au bâti, elle illustre de façon explicite le double mouvement de protection et de contrainte, d’interpellation et de reconnaissance complice, qu’implique la normalisation. Il en va de tous les dispositifs normatifs attachés à l’architecture, de la réglementation thermique, de la signalétique ou le cadre d’exercice de la profession, quelle que soit leur raison d’être, elles procèdent par un double mouvement de protection et d’empêchement. Au cours du XXe siècle, les normes sont devenues des agents déterminants de mise en forme de l’architecture et ce faisant, elles constituent des sites de luttes politiques et idéologiques de premier ordre ★
Sébastien Martinez-Barat
( 1 ) Idéologie et appareils idéologiques d’État, Louis Althusser, Positions, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 67-125.
Vous êtes ici par l’équipe de Plan Libre • Pour un design civique par Ruedi Baur • Histoires de fenêtres, de la norme à l’anormal par Parc architectes • HMONP : une mise au pas de la pratique architecturale? par Sophie Szpirglas • Entretien avec GENS architectes par la Maison de l’Architecture Occitanie-Pyrénées