Treehouse
(FIG.1) Treehouse, maison atelier faite de matériaux de réemploi, dessinée et construite par Studio ACTE, Amsterdam ©Stijn Bollaert
Restes
(FIG.2) Restes, visite d’un stock de matériaux déconstruits, Saint-Etienne, 2024 ©Studio ACTE
Photographie d'une façade recomposée
(FIG.3) Photographie d’une façade recomposée, Arsac-en-Velay, 2021 ©Studio ACTE
Le métier de chiffonnier·ère
(FIG.4) Le métier de chiffonnier·e
 Genèse d'un bois tropical : des pillages coloniaux au réemploi
(FIG.5) Genèse d’un bois tropical : des pillages coloniaux au réemploi ©Studio ACTE
Cartographie des stocks de matériaux de réemploi
(FIG.6) Cartographie des stocks de matériaux de réemploi ©Studio ACTE
Bois tropicaux, visite d'un stock de matériaux déconstruits
(FIG.7) Bois tropicaux, visite d’un stock de matériaux déconstruits, Rotterdam, 2022 ©Studio ACTE
 Greenhouse, serre faite de matériaux de réemploi
(FIG.8) Greenhouse, serre faite de matériaux de réemploi, dessinée et construite par Studio ACTE pour Grondvorm, Oisterwijk ©Stijn Bollaert
Détail d'assemblage de la façade et des fondations de Greenhouse
(FIG.9) Détail d’assemblage de la façade et des fondations de Greenhouse ©Studio ACTE
Greenhouse, serre faite de matériaux de réemploi,
(FIG.10) Greenhouse, serre faite de matériaux de réemploi, dessinée et construite par Studio ACTE pour Grondvorm, Oisterwijk ©Stijn Bollaert

Manifestes pour une architecture des restes

Architecte, Estelle Barriol fonde Studio ACTE à Rotterdam en 2020. Elle est rejointe par Fanny Bordes, architecte, en 2023. Par sa pratique, Studio ACTE repense les modes de construction en replaçant le chantier et les matériaux au cœur du processus de projet. Inspirée par des procédés vernaculaires, cette pratique se concentre sur une conception low-tech et géo-sourcée portée par la recherche appliquée et l’expérimentation à l’échelle 1 (FIG.1).

Treehouse
(FIG.1) Treehouse, maison atelier faite de matériaux de réemploi, dessinée et construite par Studio ACTE, Amsterdam ©Stijn Bollaert
Restes
(FIG.2) Restes, visite d’un stock de matériaux déconstruits, Saint-Etienne, 2024 ©Studio ACTE

Pour une architecture des restes

Au cours du siècle dernier, un phénomène d’industrialisation et de globalisation des matériaux et composants émerge, délaissant savoir-faire situés et logiques de proximité. Dans l’urgence de la reconstruction d’après-guerre, naissent alors des architectures aux matériaux, et assemblages uniformes, responsables d’une homogénéisation des environnements urbains et ruraux. Résultat d’une production de masse, le lien contextuel entre l’extraction d’un matériau et la géographie propre du projet s’efface, générant des architectures dépourvues de logiques écologiques.

Face à la nécessité de repenser nos modes de faire, il nous faut questionner les langages possibles d’une architecture de « restes » (FIG.2), composée par les stocks de matériaux disponibles, nécessairement empreints de symboles et de mémoires. Il nous faut réinventer le rapport à la matière et à l’assemblage, reconnaître ou révéler les récits cachés ; se réjouir de l’effet du temps et du vieillissement sur les matériaux. Peut-être nous faut-il admettre la fin de l’architecture monolithe ou monomatière, et devenir spécialistes d’un plus large ensemble de matériaux, de leur mise en relation, et de leur écriture ?

Cette architecture des « restes » s’inscrit dans des géographies multiples à la croisée des histoires oubliées. Entre extractivisme colonial, agriculture intensive et démolition en tout genre, la circulation des matériaux raconte des tracés historiques, sociaux, politiques, économiques et culturels qui constituent un patrimoine matériel déconstruit. Bois tropicaux, panneaux de polycarbonate, structures métalliques d’entrepôts, profilés métalliques, panneaux de béton préfabriqués, carreaux de plâtre… ceux que l’on appelle matériaux de réemploi sont bien souvent les témoins de désastres humains et écologiques. Il nous faut certainement reconnaitre et révéler les histoires qui ont fabriqué le stock de matériaux disponibles.

Il nous faut avant tout penser une architecture optimiste ; un acte de bâtir heureux où collectes, matières et assemblages dessinent une esthétique de la résilience. Le réemploi présente dans son processus des enjeux sociaux et écologiques remarquables. L’art de la déconstruction ne s’arrête pas à la dépose, il nécessite des procédés de remise en état, qui revalorisent le temps de travail au-delà de la valeur matérielle. Le réemploi raconte un besoin profond de maintenance et de conservation indépendant de la notion d’héritage et de patrimoine. Une dimension culturelle et émotionnelle induit souvent notre capacité à rénover et entretenir. Aussi, il est urgent de reconsidérer l’enveloppe bâtie comme réservoir de matière, patrimoine matériel à préserver pour une architecture à venir.

Enfin, celui que l’on nomme réemploi ne se définit pas par son caractère nouveau, mais emprunte à l’histoire, aux cultures et aux géographies. Loin de toute forme d’innovation, celui-ci appartient au champ de la logique et se nourrit de formes architecturales et sociales anciennes. Ainsi, il répond au mécanisme du faire-avec, raconte des proximités géographiques dans une économie de moyens et de matières.

Les formes de Spolia, les reconstructions d’après-guerre, les cultures vernaculaires, ou encore la profession de chiffonnier·e illustrent bien des modes de faire, marqueurs politiques et sociaux, et témoins de mécanismes persistants.

La Spolia, définition d’un mode de faire persistant

Si le terme « spolia » est aujourd’hui synonyme de réemploi, il constitue bien l’une des premières formes remarquables de réutilisation de fragments entiers de bâtiments dans la construction. Aussi nous faut-il observer cette notion au fil des siècles et comprendre l’évolution de nos rapports à la matière, à sa valeur et à sa dimension sémantique.

Dans la Rome antique, le terme « spolia » tire son origine de spolium et désigne les dépouilles de guerre prises à l’ennemi. Les Romain·es exposent alors leurs butins militaires dérobés aux territoires conquis dans le paysage urbain de Rome à travers les édifices publics. Œuvres d’art, éléments constructifs et fragments de bâtiments sont autant de composants anciens, décontextualisés et volés, qui sont incorporés dans ces architectures. Au-delà de sa nature impérialiste, cet acte de réemploi témoigne d’une reconnaissance des qualités esthétiques et matérielles inhérentes à un matériau ou composant réutilisé. Jusqu’à la Renaissance, d’importants stocks de matériaux ornementaux et déconstruits seront ainsi conservés et réemployés, suscitant des esthétiques assumées par les bâtisseur·ses. Le pragmatisme de ces formes de spolia est quant à lui indéniable, et répond déjà à des besoins pratiques, économiques et géographiques. Aujourd’hui encore, le commerce de matériaux anciens raconte cette volonté de reconnaître une valeur patrimoniale, culturelle, marchande ou esthétique du matériau antique (produit avant 1900). Tuiles canal, dallettes, parefeuilles, tomettes, poutres en bois massif… sont ainsi vendus depuis le sud de la France dans le monde entier, et alimentent le marché du luxe en Belgique, en Angleterre, aux États-Unis ou encore en Australie. Certain·es revendeur·ses, à la manière de l’antiquaire, vont jusqu’à collecter des fragments d’églises, de châteaux, de portiques, cheminées et colonnes. Ce secteur du réemploi délaisse l’ordinaire et se limite néanmoins à une mise en œuvre à l’échelle de la villa ou du bâtiment classé. Il nous faut donc considérer le stock de matériaux produits à partir du 20e siècle. Véritable reste, cette matière semble posséder aux yeux des démolisseur·ses plus de valeur que le composant lui-même. Il s’agit d’éléments à la manufacture parfois grossière et aux allures standardisées qui racontent des procédés de fabrication énergivores. De ce répertoire, l’architecture à venir doit composer de nouveaux langages, réinventer des modes d’assemblages, et repenser une économie sociale de projet.

Photographie d'une façade recomposée
(FIG.3) Photographie d’une façade recomposée, Arsac-en-Velay, 2021 ©Studio ACTE

Le vernaculaire, une architecture de l’économie au sens large

La culture constructive vernaculaire raconte une tradition du « faire avec » dans une géographie limitée et selon une économie de moyens au sens large. La collecte, le stockage et la réutilisation des matériaux de construction sont au cœur du vernaculaire. Cette forme ordinaire de réemploi raconte des modes de faire persistants responsables d’architectures aux assemblages primaires et secs. Murs en pierre, poutres et charpentes en bois local, couvertures, portes et dallettes sont autant de composants d’origines bio et géo-sourcées, qui portent les traces d’usages passés (FIG.3).

Profondément ancrée dans les contextes ruraux, cette culture constructive perdure, perpétuant des économies circulaires existantes. Plus qu’un genre esthétique, le vernaculaire répond à un système appliqué issu d’un processus culturel au service de besoins spatiaux, humains, fonctionnels et économiques. Cette pratique innée du réemploi, tout comme sa mise en œuvre, côtoie des formes architecturales influencées par la récolte de matériaux locaux. La capacité de stockage des matières, associée aux climats, besoins et milieux du monde rural, conditionne la naissance de savoir-faire et d’artisanats autour du réemploi.

L’histoire du.de la chiffonnier·e

Depuis les premières formes de spolia jusqu’aux cultures constructives vernaculaires, l’histoire montre une véritable variation entre les formes de réemploi et leur signification.

Le métier de chiffonnier·ère
(FIG.4) Le métier de chiffonnier·e

Au-delà de la mise en œuvre et de l’expression spatiale de ces composants, la collecte de matériaux rebus est une étape fondamentale du processus de réutilisation. Aussi, qu’en est-il du célèbre métier de chiffonnier·e tombé en désuétude à la grande arrivée de la poubelle ? Il est franchement fascinant d’imaginer une époque où l’absence de poubelles rendait la notion de déchets presque inexistante. Jusqu’à la fin du 19e siècle, nos modes de vie intègrent la collecte, le réemploi et la transformation dans les taches et besoins les plus ordinaires du quotidien. Le·la chiffonnier·e collecte la nuit et au petit matin les chiffons, les os, et les boites métalliques des ménages. À l’aide d’un crochet, iel ramasse et trie les matières avant de les glisser dans sa hotte (FIG.4).

 Genèse d'un bois tropical : des pillages coloniaux au réemploi
(FIG.5) Genèse d’un bois tropical : des pillages coloniaux au réemploi ©Studio ACTE

Bien que marginal, ce métier devient reconnu et remplit une fonction sociale, spatiale, sanitaire et écologique essentielle. Il assure l’approvisionnement en chiffons, nécessaires à la fabrication du papier, mais aussi en os pour l’industrie de la colle, des boutons, et bien d’autres. Cette profession sera peu à peu réglementée et donnera lieu à une hiérarchie, établissant même des maître·sses chiffonnier·es, notables et commerçant·es respecté·es de l’époque. Dans les plus petites villes de campagne, le·la chiffonnier·e plus vagabond·e, agit en légende urbaine qui traumatise les plus jeunes. Dans le bassin stéphanois comme la Haute-Loire, le « patère » (nom d’argot donné au·à la chiffonnier·e) collecte aussi les peaux de lapins. Des chants et histoires sont même composées à son effigie. Personnage mystérieux, glaneur·se nocturne, iel disparaîtra rapidement des grandes villes après l’arrivée du décret du préfet Eugène René Poubelle en 1883 relatif à l’enlèvement des ordures ménagères. Si la profession disparaît, la fin du tri des chiffons et des os provoque une transformation profonde de certaines industries. Ainsi, ces derniers seront remplacés par les fibres de bois et les premiers plastiques.

« Depuis qu’on ne peut plus vider les ordures sur la voie publique, 50 % des détritus utilisables que recueillaient les chiffonniers sont perdus pour l’industrie française. » d’après La déclaration de M. Potin, maître chiffonnier, à la commission dite des 44, cité par Joseph Barberet dans Le travail en France : monographies professionnelles.

Des géographies plurielles

Tandis que la collecte de matériaux de réemploi questionne la notion même de « local », cette étude s’inscrit dans des géographies multiples à la croisée de récits souvent invisibles. Entre extractivisme colonial, agriculture intensive et démolitions en tout genre, la circulation des matériaux raconte des tracés, des histoires, mais aussi des styles qui constituent un patrimoine matériel déconstruit. Les centralités et proximités de gisements de ces composants doivent être questionnées à l’échelle urbaine mais aussi territoriale, transformant ainsi les frontières, les régions et les rapports de distances. La pression foncière des grandes métropoles force le stockage et la collecte de matériaux issus de la déconstruction vers le péri-urbain, allant même jusqu’à la décentralisation de ces ressources, pourtant en désaccord avec les besoins métropolitains existants. Ainsi, les géographies du réemploi habitent les lieux délaissés, en marge des villes, transformant des régions entières en véritables ressourceries.

Cartographie des stocks de matériaux de réemploi
(FIG.6) Cartographie des stocks de matériaux de réemploi ©Studio ACTE

C’est le cas de la région transfrontalière englobant Lille et Kortrijk (Courtrai), qui regorge d’antiquités architecturales mais aussi de matériaux de gros-œuvre tels que les pavés, pierres, bois de coffrage et bien d’autres. Ainsi, le bassin minier du Nord se positionne comme une véritable mine de réemploi capable d’alimenter les métropoles de Paris et Bruxelles voire même d’Amsterdam (FIG.6). Il en est de même pour les zones portuaires d’Anvers et de Rotterdam, qui comptent d’importants stocks de pieux d’amarrage et d’infrastructures maritimes disponibles (FIG.5) . La région particulière de la Zuid-Holland, haut lieu de l’agriculture intensive avec ses innombrables serres, anticipe les déconstructions et propose ainsi un marché du réemploi de plastiques, profilés métalliques et textiles. Cet échantillon relate la nécessité de reconnaître les liens existants entre régions et pays dans l’économie et l’écologie du réemploi. Imaginer la circulation des éléments et matériaux de réemploi réduite à la géométrie d’un cercle d’un rayon de 100 kilomètres et prenant pour épicentre la métropole semble erroné. Il s’agit plutôt d’une forme molle, à épicentres multiples, capable d’assimiler l’empreinte carbone du matériau et de le faire circuler selon des contextes, des géographies et des besoins.

Bois tropicaux, visite d'un stock de matériaux déconstruits
(FIG.7) Bois tropicaux, visite d’un stock de matériaux déconstruits, Rotterdam, 2022 ©Studio ACTE

Matériaux déconstruits, index et récits cachés

Les matériaux de réemploi issus du siècle dernier révèlent au-delà de leurs géographies, des récits colonialistes, ou encore énergivores. À l’opposé des matériaux anciens qui témoignent d’un patrimoine bâti classé ou encore d’un artisanat perdu, ces matériaux récents racontent une production de masse, standardisée et générique. Aujourd’hui, de nombreux bois issus de l’extractivisme colonial s’ajoutent au stock de matériel déconstruit disponible (FIG.7) . Marqueurs de la déforestation, de l’appauvrissement des sols et des abus humains, ces bois portent l’histoire d’injustices climatiques et sociales qui perdurent dans de nombreux territoires tels que les Guyanes, l’Afrique et l’Indonésie. Des siècles plus tard, l’infrastructure navale et ferroviaire européenne, raconte encore le pillage de ces matériaux. En France, comme en Belgique, en Angleterre et aux Pays-Bas, de nombreuses structures approchent de la fin de leur cycle d’usage. Ainsi, les anciens pieux d’amarrage du port d’Anvers et de Rotterdam se voient débités pour servir à la construction de terrasses et de nouvelles structures. Dénués de signes apparents, ces éléments sont pourtant bien un symbole de pillages coloniaux.

Le réemploi de ces bois d’Angélique, d’Azobé et plus largement tropicaux souligne des questions de symboles, et de notions d’appartenance. Ces questions surgissent dans le contexte plus large de nos crises écologiques et humaines en cours et du besoin urgent de donner un nouvel usage aux matériaux de construction récupérés.

L’ère industrielle a vu naître l’agriculture intensive. Le paysage néerlandais compte aujourd’hui des milliers d’hectares de serres et de fermes gigantesques toutes composées de structures métalliques et de plastiques extrudés. Aujourd’hui, le remplacement de ces infrastructures donne lieu à une quantité colossale de panneaux d’acrylate et de polycarbonate disponibles et stockés chez des démolisseurs. Marqueurs de la pollution des sols, de l’eau et des pratiques énergivores, ces plastiques sont les récits cachés de nos sociétés hyper-consommatrices. La production de masse exacerbée par la construction intensive de modèles agricoles ultra-capitalistes appuie la nécessité de nouveaux modes de faire à toutes les échelles. La matière et les composants portent les marques de drames environnementaux et sociaux. Dans d’autres contextes géographiques, nombreux sont les matériaux standardisés tels que les bardages métalliques, les carreaux de ciments, plancher DAP, briques, blocs, bétons… qui alimentent nos décharges et qui traduisent une production architecturale de masse survenue à la fin du siècle dernier.

L’architecte, cueilleur.se de matériaux

La matière est l’essence même de tout projet, elle établit un rapport intime avec un lieu, son milieu et les usager·es ; elle abrite, éduque, et finalement dresse le portrait de nos pratiques et cultures. Résultat de nos modes de faire, elle dépeint des logiques commerciales, néo-coloniales, énergivores, politiques, éthiques, etc. Face à cette crise des ressources, il faut considérer la matière disponible comme une chance de construire avec les restes, un langage écologique empreint de qualités spatiales, structurelles et plastiques. Entre esthétique et résilience, la recherche de nouveaux assemblages et modes opératoires génère nombre d’interrogations auxquelles l’acte de construire doit désormais se confronter. Positionner le réemploi à l’échelle urbaine implique un questionnement théorique au-delà de tous les aspects pratiques, légaux et assurantiels nécessaires à sa mise en œuvre. La matière répond au champ sémantique, invoquant des notions de symboles, de signes et d’index. La mise en scène du réemploi à travers les spolias raconte une volonté de signifier, représenter, faire figure. Au contraire, l’index s’apparente à une forme modeste d’assemblages, qui produit une mise en rapport de composants et de récits à travers une forme bâtie. Ces écritures du réemploi jadis inspirées par l’époque romaine, ou encore enracinées dans la tradition vernaculaire, racontent une histoire intemporelle du « faire avec ». L’architecte, cueilleur·se de matériaux, chiffonnier·e, exalte la matière sans nostalgie, et interroge une architecture résiliente, composée de restes, témoins de siècles passés.

 Greenhouse, serre faite de matériaux de réemploi
(FIG.8) Greenhouse, serre faite de matériaux de réemploi, dessinée et construite par Studio ACTE pour Grondvorm, Oisterwijk ©Stijn Bollaert

Pourtant, si le champ du réemploi peut être un objet théorique, il doit avant tout être l’objet d’expérimentations. Il s’agit donc de cultiver une expérience du terrain, empirique, au contact des démolisseur·ses, des revendeur·ses et à proximité des artisan·es. Il est urgent de faire avec ces restes, en introduisant le réemploi comme modus operandi dans tous les processus de projet. La mise en œuvre de petit projets à l’échelle 1 a certainement été pour notre studio la naissance d’un apprentissage par le faire. Treehouse, Greenhouse (FIG.8), Circular pavilion et d’autres, s’inscrivent dans une démarche globale d’autoconstruction, dans laquelle nous expérimentons simultanément l’approvisionnement en matériaux de réemploi, la conception, l’acheminement et la construction. Comprendre la matière, ses procédés de transformations, ses tracés ou encore ses capacités esthétiques nous enseigne la flexibilité et l’adaptabilité du détail (FIG.9) . Ce rapport immédiat à la matière, à sa patine et à ses variations génère une tactilité insoupçonnée. La cueillette des matériaux nourrit aussi le projet de rapports humains.

Détail d'assemblage de la façade et des fondations de Greenhouse
(FIG.9) Détail d’assemblage de la façade et des fondations de Greenhouse ©Studio ACTE

La production d’un langage et vocabulaire architectural est inhérente à la production d’un bâti qualitatif, adapté et durable. L’histoire de l’architecture témoigne à travers son évolution du lien direct existant entre matière, forme et écriture. L’assemblage d’éléments de réemploi dans de nouveaux ouvrages demande une capacité d’adaptation mais aussi une connaissance plurielle des matériaux, combinée à une expérience de terrain. Bien au-delà du monolithe, ces architectures résultent de compositions de matières, fragments, issus de contextes et de géographies différentes. Ces assemblages questionnent les notions de style, de codes, de complexité et de disponibilité. Face à la nécessité de produire des architectures résilientes, le réemploi présente un potentiel immense de réflexion autour du sens, de l’esthétique et de l’assemblage (FIG.10) .

L’architecte cueilleur·se, chiffonnier·e ou artisan·e devra dessiner des architectures capables de s’adapter à un stock de matières variables. Il devra séduire et proposer des espaces de qualités, flexibles, à l’esthétique renouvelée par ce répertoire de matériaux trouvés. Il continuera de puiser dans le modernisme la rationalité nécessaire à la fabrication d’espaces capables, généreux et abordables. L’architecte, ému·e et convaincu·e, choisira la matière pour ses traces, ses récits, et dessinera une architecture du réemploi heureuse et désirable ★

Greenhouse, serre faite de matériaux de réemploi,
(FIG.10) Greenhouse, serre faite de matériaux de réemploi, dessinée et construite par Studio ACTE pour Grondvorm, Oisterwijk ©Stijn Bollaert