(FIG. 0) Habitat rural implanté sur le rebord d’une terrasse alluviale. L’eau qui affleure au pied permet ici le développement d’une exploitation maraîchère. © Alexis Pernet.
(FIG.1) Vaïssac, au creux de la vallée de Longues Aygues, dans le secteur des collines de molasses. Crêtes boisées et agriculture de versant, parfois sur des pentes très accentuées. © Alexis Pernet.
(FIG. 2) Le barrage du Gouyre et sa station de pompage. © Alexis Pernet.

Grains. Irriguer  le  sol  fertile 

L’atelier « Grains. Irriguer le sol fertile » a été mené par Marion Albert, Julien Choppin, Alexis Pernet et Sarah Vanuxem dans le cadre du festival d’idées Architectures et Paysages « Le cours de l’eau. La cour et l’eau » qui eut lieu au centre d’art et de design La cuisine à Nègrepelisse, en juillet 2021. Ce texte est la retranscription de cet atelier, une lecture de paysage.

Les propos rapportés ici sont des hypothèses de lecture d’un paysage que les organisateurs de l’atelier ont découvert quelques jours plus tôt. Propos recueillis pendant l’atelier et retranscrits par Fanny Vallin, puis précisés et relus par Fanny Vallin et Alexis Pernet.

(FIG. 0) Habitat rural implanté sur le rebord d’une terrasse alluviale. L’eau qui affleure au pied permet ici le développement d’une exploitation maraîchère. © Alexis Pernet.

Arrêt 1 : l’Aveyron.
15h45

Depuis Nègrepelisse, une commune au nord-est de Montauban,
nos voitures se sont suivies à travers une large plaine fertile, où alternent cultures céréalières et fruitières. Ce n’est pas l’Aveyron des gorges que nous partons reconnaître, mais bien un système de plaine alluviale, richement irriguée et cultivée. Notre groupe s’est rassemblé au bord de la rivière, accessible par une cale en pente douce. Là, chacun s’est présenté, et Alexis Pernet a tracé au sol une coupe schématique, représentant l’itinéraire que nous allions suivre, un « transect » du bord de l’eau jusqu’aux collines, à la limite du bassin versant. 

« L’atelier que nous commençons ici, aux côtés de l’Aveyron, va nous permettre d’aller en différents points du territoire, où nous essayerons de comprendre les rapports entre l’eau, le système d’irrigation, et l’agriculture. Nous découvrons ce territoire depuis trois jours seulement, en déambulant de la rivière à la plaine alluviale, puis de la plaine aux collines voisines, faites de “ molasses ” (des terrains sédimentaires souvent faits de marnes et d’argiles agrégées). »

« L’Aveyron que nous voyons à cet endroit alimente en réalité un vaste réseau d’irrigation. En simplifiant le discours, nous pourrions dire que l’utilisation de l’eau est parfois difficile à réguler, dans une région où les cultures qui en dépendent sont nombreuses. L’eau utilisée par les agriculteurs est parfois directement pompée dans l’Aveyron. Contrairement à ce que nous pourrions croire, dans la mesure où existe une ASA, une Association Syndicale Autorisée, cette manière de puiser l’eau n’est pas complètement opportuniste. Les Associations Syndicales Autorisées sont des associations qui regroupent des propriétaires privés ou publics, et qui ont le statut d’établissements publics. Elles rassemblent des propriétaires pour partager et compter l’eau d’irrigation. Pour ces associations syndicales, ou pour un collectif d’irrigants, un volume d’eau est autorisé. Il y a donc obligation de répondre aux règles, et des compteurs mesurent le nombre de m3 que chacun prélève. Puis, ce volume autorisé est contrôlé par l’agence de l’eau concernée. [ndlr : les agences de l’eau sont des organismes chargés de la gestion de l’eau sur un territoire appelé « bassin hydrographique », c’est-à-dire une zone constituée d’un réseau de cours d’eau (rivières, fleuves, affluents, lacs, etc.) qui convergent vers la mer. Créées par la loi sur l’eau en 1964, elles rassemblent des interlocuteurs aux intérêts parfois divergents : agriculteurs, collectivités, industriels, associations de protection de la nature et de la biodiversité, etc. Elles sont au nombre de six sur le territoire français. L’agence de l’eau chargée de la gestion de l’Aveyron est celle du bassin hydrographique Adour-Garonne.] »

« Nous ne savons pas précisément comment cela se passe ici, mais de plus en plus, ces terrains riches en eau sont équipés de sondes piézométriques, parfois en réemployant des puits destinés à l’irrigation. Ces sondes permettent de récupérer des données sur la variation du niveau de l’eau de la nappe phréatique. Lors de périodes de grandes sécheresses mêlées à des prélèvements très intensifs, le niveau piézométrique peut être jugé en alerte par rapport à un étiage, c’est-à-dire par rapport au débit minimal du cours d’eau. La préfecture, au nom de la loi sur l’eau, peut décréter par un arrêté sécheresse des restrictions d’irrigation. Elle choisit de favoriser les agriculteurs irrigants, et parfois uniquement certains types d’agriculteurs, ceux qui ont du bétail par exemple ou des cultures maraîchères, tandis que d’autres types de cultures seront un temps arrêtées. À l’échelle des particuliers, ces restrictions se ressentent lorsqu’il faut arrêter de remplir la piscine ou d’arroser la voiture. »

« Le cours d’eau tel que nous le voyons est, d’une certaine manière, ainsi car l’État achète à EDF de l’eau, pour l’étiage. Il est aussi un service écosystémique. Et, nous faisons le raccourci exprès, nous pourrions dire que cette rivière permet de refroidir la centrale nucléaire de Golfech, refroidie en réalité par la Garonne. C’est-à-dire que, comme nous parlons d’électricité en amont et du rôle important de l’Aveyron dans la production d’énergie hydroélectrique, nous pouvons continuer à tisser des liens entre les choses. Les choses communiquent autant horizontalement que verticalement : l’eau de l’Aveyron se déverse dans d’autres cours d’eau puis alimente des systèmes différents, électriques ou autres ; pendant que l’eau utilisée pour alimenter un champ de maïs récupère les produits toxiques, les infiltre dans le sol, et les draine vers la nappe phréatique. Les problématiques s’interpénètrent. »

« Tout au long de cet atelier et de la route que nous allons faire, nous vous proposons d’être attentifs au paysage. Avant de faire ce premier arrêt notamment, lorsque nous avons pris la route pour descendre vers la rivière, nous avons senti des décrochements dans le relief. Ils prennent la forme de différents niveaux de renfoncement, qu’on appelle des terrasses alluviales. Nous en apercevons là-bas au loin, où sont posées une maison et une ferme. Le relief s’élève de deux ou trois mètres, ce qui montre un changement de niveaux de terrasses alluviales. À l’échelle de l’ensemble du relief, il s’agit d’une toute petite pente, mais nous nous rendons compte que les maisons sont justement implantées sur ces changements de niveaux, sur le nez de ces marches. Ces maisons montrent que l’implantation humaine suit une terrasse, donc une courbe de niveau, qui elle renvoie plutôt à la succession de périodes glaciaires et interglaciaires dans l’ère quaternaire. »

« Il y a donc une histoire architecturale, qui raconte aussi à sa façon, si nous voulons bien la lire ainsi, des temps géologiques qui ne sont pas si lointains, puisque comme le disait Jérôme [ndlr : Jérôme Gaillardet, géochimiste, qui participe lui aussi au festival “ Le cours de l’eau. La cour et l’eau ”. Cf la rubrique “ Critique ” de ce numéro, en dernière page], l’homme a vu le temps des dernières glaciations. Il ne s’agit donc pas de l’ère primaire, ou de l’histoire géologique du Massif central que nous avons derrière nous, mais de quelque chose, d’une histoire et d’un temps plus accessibles. Il est intéressant de voir que dans l’histoire d’un paysage, des temporalités se conjuguent et s’emboîtent. »

« Pour faire ces terrasses, la rivière était donc beaucoup plus ample. Elle était un exutoire plus haut et plus large, fait d’énormes glaciers qui ont charrié de la grave, un sol principalement constitué de graviers, et des galets. Puis, après la période des fontes de glaces, pendant les périodes plus calmes et avec moins d’eau, les cours d’eau se rétrécissaient sur un seul et même flux. Ils devenaient plus incisifs, et c’est là que se sont produits ces encaissements successifs. Sur la route que nous allons emprunter, il serait bien d’être attentifs à ces ressauts, qui se présentent comme des escaliers érodés et légers ; puis nous entrerons dans les collines qui font également partie de l’ensemble de ce système alluvial. »

(FIG.1) Vaïssac, au creux de la vallée de Longues Aygues, dans le secteur des collines de molasses. Crêtes boisées et agriculture de versant, parfois sur des pentes très accentuées. © Alexis Pernet.

Arrêt 2 : une terrasse alluviale.
16h18

Nous avons dépassé de premières terrasses alluviales. Arrivant en vue d’un nouveau décrochement du relief, nous nous arrêtons sur le bord de la route, en contrebas d’un champ de maïs pentu. Devant nous, un fossé d’environ deux mètres de large et peu profond est bordé sur un côté par une ligne d’arbustes. Un chemin enherbé longe le fossé et le sépare des champs. Au loin, quelques fermes.

« Un point commun existe entre les premières terrasses et le lieu où nous nous trouvons : il y a, en pied de terrasse alluviale, de l’eau. Un fossé rempli de roseaux occupait le pied de la première terrasse visible sur notre route. Ici, le fossé est aujourd’hui à sec et semble avoir eu de l’eau récemment. Il donne l’impression de récupérer une partie de l’eau provenant de plus haut. »

« La culture de maïs s’arrête à 5 mètres du fossé, ce qui montre que ce fossé est administrativement considéré comme un cours d’eau, notamment par la Direction Départementale des Territoires. Celle-ci impose un recul des cultures de 5 mètres par rapport au fossé de manière à avoir une bande tampon qui filtre les traitements et les pesticides épandus sur ces parcelles. Ce linéaire est obligatoire et dépend de la surface de la parcelle. Par mesure de précaution, même si la culture est biologique, il est interdit de cultiver en limite de fossé. Ces bandes enherbées segmentent le territoire et sont nécessaires pour la qualité de l’eau, elles sont reconnaissables dans le paysage et liées aux pratiques agricoles. »

« Le fossé présent contre cette bande d’herbe apparaît quant à lui sur la carte IGN comme un ruisseau, alors que nous le voyons aujourd’hui à sec. Nous pouvons donc sans risquer de nous tromper conclure que l’agriculteur qui possède les parcelles bordant le fossé pompe l’eau pour irriguer ses cultures. » 

« Le ruisseau a probablement été transformé en fossé, canalisé, au cours d’un remembrement. Le remembrement rural est une vaste opération de redistribution du parcellaire des exploitations agricoles. Plusieurs sortes de remembrements se sont succédées au cours des siècles, mais le plus visible et perceptible en terme d’organisation rurale aujourd’hui est celui des années 1960 et 1970. Dans notre cas et à l’échelle de ce ruisseau-fossé, le remembrement est perceptible par l’étrange et peu naturelle rectitude du ruisseau : alors que celui-ci vient d’assez haut et alimente l’Aveyron, à cet endroit précis il tire droit. Le remembrement parcellaire dont il est le fruit avait donc pour but de distribuer et d’irriguer certaines parcelles, ce qui ne devait pas être le cas avant. Ces aménagements étaient souvent l’œuvre du Génie rural, qui faisait des préconisations et des travaux d’ingénierie pour l’aménagement du territoire agricole. »

« Les champs de maïs que nous voyons, très grands, montrent une course aux quintaux et au rendement, justement liée à ces remembrements. L’élevage, que nous pouvons distinguer par les grands bâtiments et les granges entre autres, a aussi laissé une marque dans ce paysage : la présence d’arbres sur certains linéaires de haies. Ces haies de hêtres ou de chênes entouraient probablement d’anciennes prairies. Elles constituaient donc un système bocager, qui a été affecté par le remembrement et dont on perçoit encore quelques traces. »

« Plus haut, au niveau du coteau, une source alimentait probablement ce ruisseau. Et, très proche d’ici, nous pouvons apercevoir d’autres ruisseaux ; ce qui veut dire que la plaine est parcourue par des fossés, des ruisseaux très discrets, presque invisibles car de temps en temps à sec. La présence de l’eau se ressent donc aussi dans cette plaine, mais contrairement à notre arrêt précédent au bord de l’Aveyron, il s’agit d’une présence discrète. C’est une eau de surface. »

Arrêt 3 : une retenue collinaire.
16h44

Nous sommes entrés dans le secteur des collines. Au sortir d’un bois, nous avons emprunté un chemin rural débouchant sur une clairière cultivée, au creux d’un vallon. Une petite étendue d’eau prend place au milieu de la prairie. Elle est au point le plus bas, telle un minuscule lac de montagne. Une végétation d’arbustes et d’herbes hautes compose sa limite, qui semble habitée par des oiseaux.
C’est la première fois que nous voyons de la faune.

« Ce plan d’eau a été créé afin de sécuriser une partie de l’approvisionnement en eau. Il permet d’irriguer en aval de ce petit plateau et en fonction du réseau disponible les cultures. Un remblai fait d’une masse de terre et de rochers a donc été extrait pour barrer cette petite vallée. La terre récupérée de la partie noyée permet la création de la retenue, de cette digue. La terre végétale, l’argile émerge. »

« Cette cuvette est appelée une retenue collinaire. L’eau provient probablement d’une source car la cuvette que nous apercevons tout autour semble trop petite pour en être l’unique collecteur. Dans notre cas, nous pouvons donc considérer qu’au fond de cette cuvette naît un ruisseau. Mais la plupart du temps, une retenue collinaire est issue du ruissellement de l’eau de pluie, contrairement aux bassines, qui résultent du pompage de l’eau sur des rivières ou des nappes pour alimenter des retenues complètement artificielles. L’eau de pluie coule sur les parois du bassin versant puis tombe dans la cuvette. »

« À son tour, une retenue collinaire telle que celle-ci, avec un faible volume d’eau, permet probablement d’irriguer une seule exploitation. Tandis que parfois, elle est liée à un collectif et peut-être même à une association syndicale, une ASA telle qu’on l’évoquait au début de notre parcours. Là aussi, un compteur détermine le nombre de m3 d’eau que les exploitantsprélèvent, et ces derniers contribuent à l’agence de l’eau. » 

« Pour créer ces dispositifs, une autorisation de travaux est nécessaire. Ils sont donc très suivis au niveau réglementaire. Les premières retenues collinaires étaient souvent réalisées sur un ruisseau, il semble que ce soit le cas ici, ce qui est interdit depuis une vingtaine d’années. L’enjeu dominant est maintenant de faire en sorte que la digue n’interrompe pas la continuité écologique du ruisseau. Cette interdiction est venue en amont des trames vertes et bleues qui déterminent les continuités écologiques des paysages, mais elles partagent toutes un même but : la préservation de la biodiversité et des milieux. »

« Cela devient passionnant et complexe lorsque nous nous rendons compte que ces lacs créés par l’homme et complètement artificiels peuvent aujourd’hui être classés et être des réservoirs de biodiversité. Dans le cas de la retenue collinaire que nous avons devant nous, le temps d’arriver en haut du petit chemin et de l’apercevoir, un héron cendré s’est envolé. Et d’ici nous pouvons distinguer des aigrettes ou des hérons garde-bœufs. La masse d’eau et la végétation qui l’accompagnent constituent un milieu d’accueil pour la biodiversité. Le flanc de la digue en est un autre exemple, car il s’agit d’un milieu de prairies sèches, fauchées une seule fois dans l’année. La végétation y est donc laissée tranquille. Nous pouvons également supposer qu’il y a des poissons dans la réserve. Des milieux intermédiaires se créent. L’ensemble est riche, le vivant bifurque à tout moment. Mais, à une échelle globale, nous pourrions considérer ou nous apercevoir que cette réserve artificielle de biodiversité interrompt le ruisseau, et que cette interruption peut être préjudiciable en aval. »

(FIG. 2) Le barrage du Gouyre et sa station de pompage. © Alexis Pernet.

Arrêt 4 : la limite de crête.
17h06

La limite de crête du bassin versant est le point le plus haut du parcours. Des habitations, de petites maisons, peu vues jusque-là, sont d’un côté de la route. De l’autre, nous découvrons la vue sur le paysage rural en contrebas, dans une vallée. Un village avec un clocher, quelques habitations et, autour, des champs aux formes diverses. Plus loin, la topographie remonte et l’ensemble devient plus boisé.

« Nous avons quitté la grande plaine alluviale et les grandes terrasses pour entrer dans une zone de collines qui forment l’arrière-scène de la vallée de l’Aveyron. Nous sommes sur une vallée affluente de la rivière. Nous sommes entrés dans une zone de bois beaucoup plus abrupte. Le sol y est donc probablement beaucoup plus pauvre, l’eau n’est pas présente sous nos pieds et les boisements dominent. »

« L’horizon est aussi complètement boisé. Il ne s’agit pas d’un massif forestier ou d’une vieille forêt mais d’un ensemble de bois qui peuvent résulter notamment de l’abandon il y a quelques années de certaines pratiques d’élevage. »

« Puis, sur les versants, nous observons tout un parcellaire en pente, avec des arbres, du bétail, des haies, des arbustes, des champs de tournesol et d’autres de maïs. Le remembrement dont nous parlions tout à l’heure se perçoit aussi, mais il prend une autre forme : ici, il s’agit plutôt d’une tendance à rassembler plusieurs parcelles pour constituer de grandes exploitations agricoles. Le bois est défriché, quelques parcelles sont elles aussi défrichées au bulldozer, et les très grands ilots parcellaires sont mis en culture. »

« Le remembrement tel qu’on le voit pourrait aussi avoir des effets négatifs sur ce paysage de grands plis. Ces parcelles très pentues sont le signe d’une application d’un modèle d’agriculture et d’irrigation convenant à une plaine alluviale sur un terroir de collines, alors que celui-ci n’était pas du tout apte à accueillir ce modèle. La terre des versants est mise à nu, ce qui revient à prendre d’énormes risques ; les dépenses en carburant sont très importantes, et de graves écoulements peuvent avoir lieu. Des techniques agricoles comme le non-labour, avec un semis direct, permettraient de conserver les sols, et seraient probablement plus adaptées à ce type de parcelle en pente. Ces changements de techniques culturales ont de plus en plus lieu ; ils permettront peut-être, d’ici quelques années, de faire repousser le parcellaire précédent. »

« Contrairement à l’endroit où nous sommes, nous pouvons percevoir en fond de vallée un fond alluvial, et ainsi une présence d’eau, peut-être même d’une nappe. Ce fond alluvial se distingue par les petits lotissements et les cultures de maïs sur des parcelles assez régulières. L’extension du village dans le fond de vallée est aussi visible. Les petits ruisseaux de ce fond alluvial alimentent ensuite, plus loin, l’Aveyron et la nappe qui lui est liée. Ce paysage est très parlant. Il permet de voir l’écosystème, et les liens que nous avons essayé de révéler et d’observer dans cet atelier entre une rivière et ses nombreuses composantes, et l’agriculture. »

« Il nous reste encore un arrêt, que l’on peut choisir tous ensemble. »

Arrêt 5 : le lac du Gouyre.
17h24

Le lac du Gouyre est notre dernier arrêt. C’est un lac artificiel relié au vaste réseau d’irrigation souligné dans l’atelier. La végétation composée de hauts arbres présente tout autour ne présage pas de la jeunesse du lac, formé en 1989 suite à la construction d’un barrage sur le Gouyre, petit affluent de l’Aveyron. Le bruit des cigales y est présent, contrairement au reste de notre route. La construction du barrage est à l’initiative du Conseil Départemental de Tarn-et-Garonne. Le lac du Gouyre permet de faire du soutien d’étiage sur l’Aveyron et d’alimenter un réseau d’irrigation de 80 km de canalisations, pour un peu plus de 1000 hectares de surfaces irriguées. Le site est par ailleurs classé en Espace naturel sensible.

« Ce barrage est donc d’une certaine façon lié à toutes ces structures d’aménagements qui ont été créées en France au cours des Trente glorieuses et ensuite. Il s’agissait d’un moment où il manquait d’instruments d’économie mixte entre les interventions de l’Etat et le fonctionnement avec le privé. Le Commissariat général au Plan avait profité d’une loi de finance assez générale pour glisser un tout petit article instituant la possibilité de créer des compagnies régionales d’aménagements. Des sociétés telles que la Compagnie d’aménagement du Bas-Rhône et du Languedoc (qui a donné le groupe BRL), ou la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG) qui installent pour les agriculteurs des réseaux d’irrigation, en sont des exemples. » 

« Ces sociétés sont d’énormes structures d’ingénierie et de gestion des réseaux d’eau. Ce sont des compagnies assez discrètes, peu connues du grand public. Plus que d’être des lieux de débats, ces sociétés ont un caractère très opérationnel et interviennent sur un ensemble géographique très vaste. La partie ingénierie de la société étudie le volume d’eau nécessaire pour telle ou telle demande, et regarde la meilleure option pour tirer les tuyaux d’irrigation : la meilleure adéquation entre les besoins et la topographie, le meilleur endroit pour stocker l’eau en fonction des nappes d’eaux souterraines par exemple. »

« Les collectivités peuvent avoir des parts dans ces sociétés. Sans entrer dans le détail de ces engrenages et de ces montages assez complexes, nous voyons qu’il s’agit d’un opérateur très important, même incontournable, d’une grande discrétion, qui détient un pouvoir technique et une expertise, mais qui du même coup s’inscrit dans un circuit très fermé entre les syndicats d’irrigants et les chambres d’agriculture. Les données sont très techniques et complexes, ce qui créé un système qui laisse peu de prises aux citoyens, même s’il y a de plus en plus d’instruments, de commissions locales de l’eau, de contrats de gestion quantitative, d’objectifs d’optimisation. Un maillage du territoire se crée, des habitudes se prennent, et en aval les pratiques agricoles liées au système d’irrigation s’installent dans la durée. Il y a une forme d’inertie qui induit des difficultés de reconfiguration du territoire, particulièrement en ce moment où des mesures de transition doivent s’imposer face à des enjeux de biodiversité et de climat. Aujourd’hui, c’est plutôt l’ensemble du paysage qui devrait être considéré comme une éponge, pour ne pas nous rendre complètement dépendants de ces réseaux techniques. »

En quittant le lac nous croisons de nombreuses personnes. Un signe qu’il est aussi un lieu de loisirs. La route pour rejoindre Nègrepelisse est au début pentue, puis plate et en longue ligne droite, la conséquence d’une ancienne voie de chemin de fer. L’hypothèse du paysage-éponge a fait l’objet d’un second atelier, organisé le lendemain après-midi, dans la cour de La cuisine à Nègrepelisse