200 Plan Libre, Anatomie d’un journal d’architecture

« IL NE NOUS MANQUE PLUS QUE L’ÉDITO »

Mois après mois, alors que le contenu du journal est sélectionné, coordonné, échangé, organisé, relu, validé et prêt à être imprimé, il ne nous manque plus que l’édito. L’édito ne fait que quelques lignes, il porte pourtant l’essentiel : il introduit un sujet, il précise en ouverture notre regard, le situe et présente les contributions que la revue assemble. Celui-ci n’échappe pas à la règle. Aujourd’hui que tout est là, relu, validé et prêt à être imprimé, il ne reste plus qu’à l’écrire.

DEUX-CENTIÈME

Cet édito est le deux-centième. Édité depuis plus de vingt ans par la Maison de l’Architecture Occitanie—Pyrénées, le journal est né de la nécessité de créer des outils pour informer et diffuser la culture architecturale, de mettre en valeur les pratiques locales. Numéro après numéro, Plan Libre a éprouvé sa capacité à grandir, à se remettre en question, à se renouveler. Aujourd’hui, sa détermination et son existence marquent encore la véracité de l’hypothèse initiale : si l’architecture est de plus en plus présente et partagée, elle reste paradoxalement toujours méconnue. L’architecture a toujours besoin des tribunes qui permettent de donner du sens à l’environnement construit.

Plan Libre était déjà une archive, physique et numérique, accessible à tous·te·s. Aujourd’hui, la collection des 200 numéros et 576 contributions constitue une base de données qui nous renseigne sur l’architecture en tant que discipline enseignée et pratiquée. Bien que s’appuyant majoritairement sur une région, elle documente l’évolution du cadre légal et idéologique à plus grande échelle. Elle fait état de l’engagement et de l’enthousiasme de plusieurs générations d’architectes, qui, localement, ont œuvré pour produire et transmettre l’architecture au sein du journal.

DE 55À 90G

Lorsque nous sommes arrivé·e·s respectivement à la direction et à la rédaction en chef du journal, peut-être n’avions-nous pas tout à fait pris la mesure de l’héritage. Nous en étions lecteur·rice·s, assidu·e·s. Nous ne comprenions pas encore les rouages qui avaient permis, jusque-là, d’en assurer sa parution, ininterrompue. Comment parler des forces qui l’animent ? Comment inscrire sa ligne éditoriale dans la continuité ? Si Plan Libre s’évertue à transmettre l’architecture, comment transmettre Plan Libre ? Nous avons vu dans le chiffre 200 l’opportunité de réaliser l’enquête que nous souhaitions faire : celle qui nous permet de commencer sans rien savoir, et de tout découvrir. [ 1 ] Comme tout projet, nous l’avons abordé sans a priori, sans présumer de sa forme finale ni de la direction à prendre dès lors que nous n’avions pas encore fait le chemin inverse et complet à travers deux cents numéros. Aujourd’hui, nous voyons dans cet ouvrage la consolidation de ce qui était déjà-là, caché dans les pages fragiles des piles de papier, dont l’encre laisse des traces lorsqu’on les manipule.

ANATOMIE D’UN JOURNAL

Pour relater l’histoire collective du projet éditorial original, nous avons travaillé conjointement au sein de l’équipe de rédaction — constituée de la Maison de l’Architecture Occitanie—Pyrénées, MBL architectes et de l’atelier de graphisme Documents — pour prendre le temps de relire et d’appréhender ce qu’on manipulait et qu’on façonnait depuis vingt numéros déjà. Nous avons classé, décomposé, analysé, confronté, discuté, évalué, accumulé, filtré, lu et relu. Nous avons sélectionné, composé, synthétisé, représenté, écrit et commenté. Méthodiquement, nous avons collectivement assemblé le contenu de l’ouvrage selon quatre parties. Les lectures contextualisent le journal en relation à la théorie architecturale, à l’exercice de la profession, à l’évolution de l’enseignement dans les écoles d’architecture et à son ancrage au sein des publications d’architecture. Les fac-similés proposent une sélection resserrée d’articles reproduits qui marquent par l’exemple la qualité, la diversité et l’évolution de la production éditoriale. Le recueil d’images interroge la place et la nature de l’iconographie dans le journal. Enfin, l’analyse de données donne à voir ce que le journal a tissé en 200 numéros ; elle révèle a posteriori un portait de la revue.

XX PERSONNES

La fabrication de cet ouvrage et le moment rétrospectif qu’il a suscité est l’occasion de rappeler le bien commun et précieux qu’est ce journal encore jeune. Les mobilisations successives des comités éditoriaux pour l’animer, le transformer et le faire perdurer depuis 20 ans replace ce livre, ce numéro 200, dans un travail collectif qui a impliqué 61 membres de comités éditoriaux et près de 700 contributeur·rice·s volontaires. Nous tenons à les remercier. La pérennité d’une revue imprimée chaque mois à plusieurs centaines d’exemplaires est aussi rendue possible par les financements publics, ceux de la DRAC Occitanie, de la Région Occitanie, du Conseil départemental de la Haute-Garonne et de Toulouse Métropole — qui soutiennent les actions culturelles de la Maison de l’Architecture dont le journal fait partie — et le soutien particulier du Conseil régional de l’Ordre des architectes et du Réseau des Maisons de l’Architecture. L’engagement institutionnel est ce qui permet aussi à Plan Libre d’exister. Dans la continuité du projet initial, Plan Libre est resté indépendant et tient une ligne éditoriale hybride, faite de recherche para-universitaire, de préoccupation disciplinaire ancrée dans les pratiques de l’architecture. Aujourd’hui, Plan Libre tient une place singulière dans le paysage éditorial des revues d’architecture en France. La reconnaissance acquise nous y oblige.

POUR L’AVENTURE

Ce numéro n’est qu’une occurrence symbolique d’un redoutable rythme mensuel. Plan Libre continue. Notre temps trouble est fertile de doutes et de questionnements. L’architecture comme métier et comme discipline sort lentement d’un 20e siècle dont l’horizon dégagé a produit des architectes visionnaires. Le territoire des architectes aujourd’hui est incertain, changeant et dialogique. Les architectes y sont des aventurier·ère·s sans horizon fixe. Plan Libre chaque mois est une carte, un plan provisoire amendé par le suivant, adressé à celles et ceux qui cherchent.

[ 1 ] Martinez-Barat, Sébastien. « Ne rien savoir, tout découvrir » dans L’enquête, Plan Libre, n°187, octobre 2021.