Faveurs du logement

Au travers de ce numéro et de ceux à venir, nous avons souhaité privilégier le logement, plus précisément le logement collectif et le logement social, comme point focal de la pensée et de la pratique de l’architecture. Cette volonté s’inscrit dans un état de fait déjà bien documenté d’une détérioration de l’accès au logement en France et en Europe. Le renforcement du « droit au logement », dans un moment où il s’affaiblit, nécessite de perpétuer, d’entretenir et d’amender cette culture du logement collectif et social façonnée par plus d’un siècle de pratiques habitantes et de projets architecturaux. C’est précisément le rôle d’une revue d’architecture que de s’engager dans ce double rôle de transmission et réflexion. Cet engagement est aussi porté par la volonté de valoriser des travaux d’architectes qui façonnent et renforcent modestement une culture de projet spécifique à la conception et transformation de logements. En architecture, le logement collectif occasionne peu de formes spectaculaires. Si il est au centre des théories et des imaginaires de l’architecture depuis le début du 20e siècle, le logement collectif n’en reste pas moins un exercice contraint qui met en déroute les projets fabriqués d’avance. Le travail sur le logement s’apparente plutôt à un ouvrage discret, souvent hors des champs d’attention facile. Le logement collectif occasionne des architectures aniconiques, qui oscillent entre banalité et innovation. Cette résistance au visible encourage des attitudes de conception moins enclines aux grands gestes d’auteur·ices, mais aux démarches plus patientes d’une recherche opérationnelle, engagée et agile qui s’inscrit au-delà de la forme. C’est que le logement ne se contente jamais d’être figé dans un objet clos et résolu. Le terme même de loge- ment désigne à la fois un lieu et une action. Le suffixe -ment, indique une manière de, un acte. Le logement est alors le fait de se loger. Au travers de ce nom d’action qu’est logement, ce qui désignait un processus d’habiter s’est substitué par l’usage au nom du logis même. Cette construction grammaticale (que l’on retrouve notamment dans l’anglais « housing ») inscrit le fait de se loger dans l’action, un acte permanent qui semble s’estomper si on ne l’entretient pas. Cet infini du logement, tout comme la discrétion de sa conception, est au centre des récits de projets de Caroline Poulin (l’AUC) et Xavier Brunnquell (brunnquell et andré architectes) qui sur des temps de projet long racontent la transformation de logements existants dans leur rapport à la ville et à l’intérieur. Paola Lucan explore de façon plus théo- rique l’agencement des plans d’appartement et la capacité de distribuer les registres du déterminé et de l’indéterminé. Leurs travaux témoignent de la volonté appuyée des architectes à entre- tenir et mettre à jour des ouvrages et une pensée héritée d’une modernité glorieuse et révolue. À l’opposé de ces attitudes, les bâtiments emblématiques du Mirail sont détruits contre le souhait de certains habitant·es. Considérant ce quartier emblématique de Toulouse, le projet de diplôme d’Iness Tkhayyare dénonce la superficialité démagogique des enquêtes publiques. Elle défend une autonomie des usager·es qui par des « réparations sauvages » s’approprient les lieux, hors des agendas politiques. Les articles du géographe Simon Ronai, de l’urbaniste Claire Carriou et de Benjamin Gouttefangeas, directeur commercial de Limoges habi- tat, démontrent que les lois agissent directement, voire instanta- nément, sur les formes et les caractéristiques des habitations. Le statut des habitant·es évolue aussi rapidement, passant de loca- taires à client·es puis exclu·es. Ils nous rappellent que le logement est le lieu où se concrétise le politique par l’architecture. ★

MBL Architectes

 

Lois et architecture du logement par Simon Ronai • La fugacité de la figure habitante par Claire Carriou • La plus belle vue de Toulouse par Iness Tkhayyare • La souplesse des pièces par Paola Lucan • Les Courtillières ont 70 ans par Caroline Poulin • Rénover en site habité. 120 histoires de réhabilitation par Xavier Brunnquell • Produire du logement social en milieu détendu par Benjamin Gouttefangeas