Le style anthropocène
-édito- Depuis le 6 août 1945, une fine couche d’uranium recouvre l’ensemble du globe terrestre. L’explosion de la bombe A à Hiroshima est un exemple des manières dont l’humanité engendre des modifications fondamentales de la géologie terrestre. Le terme anthropocène est employé la première fois par Alexei Petrovich Pavlov en 1922 et sera par la suite défini comme une nouvelle aire géologique marquée par des modifications à l’échelle planétaire, non plus portée par des agents géologiques terrestres mais par l’humanité. Popularisé en 1995, le météorologue et chimiste de l’atmosphère Paul Josef Crutzen, prix Nobel de chimie, et Eugene Stoermer, biologiste, proposent avec ce terme de clore l’holocène et de débuter l’anthropocène à la date de 1784, année du brevet de la machine à vapeur par James Watts. Cette invention fatidique va mettre les sociétés humaines sur la route de la révolution industrielle et les engager dans une consommation irrémédiable des ressources terrestres avec pour effet direct (outre la raréfaction des ressources) un réchauffement du climat et une extinction massive des espèces animales et végétales.
L’échelle de temps des aires géologiques excédant largement plusieurs vies humaines, il est difficile aujourd’hui de vérifier la pertinence scientifique du terme anthropocène. Certains ont déjà relevé le caractère anthropocentrique de sa définition ou encore l’absence de recul sur une aire géologique à peine débutée et sur ses manifestations encore peu connues. Quoiqu’il en soit, le terme anthropocène – sa popularité et sa circulation, sa capacité à faire converger une multiplicité de discours – constitue déjà une rupture épistémologique majeure, qui inaugure de nouveaux rapports entre l’humanité et son environnement. Dans ce lot des choses chamboulées, l’architecture se retrouve interrogée fondamentalement. Cela concerne la construction bien-sûr, ses techniques et ses matériaux, les attentions écologiques mais aussi et surtout les manières d’habiter, de circuler, de se sustenter.
Ces nouvelles manières augurent d’un style nouveau, le style anthropocène, pour reprendre l’expression de Philippe Rahm, qui suppose que toutes choses seraient repensées à l’aune de cet état de fait nouveau, des plus triviales aux plus décisives. De quelle manière peut-on aujourd’hui penser et fabriquer des architectures pour humains et non-humains, en conscience et connaissance de ce qui est là et qui nous entoure, nous supporte et nous excède ? ★
Sébastien Martinez-Barat & Joanne Pouzenc
Atlas of Places par Thomas Paturet • Atterrir en zone critique par Matthieu Duperrex • Chaleur, humidité et pollution par Philippe Rahm • Déclaration sur le sol par Thierry Paquot (Introduction), Ivan Illich (texte)