Les formes du capitalisme
-édito- En 1994, OMA — Rem Koolhaas débute la conception de la villa Lemoine, bientôt construite à Floirac sur les hauteurs de Bordeaux. La maison marque l’aboutissement de recherches conceptuelles et formelles débutées 20 ans plus tôt avec l’écriture de New-York Délire. Elle déploie une esthétique de la saturation, de la rencontre inattendue de formes, de dispositifs, un trafic de références et une sophistication qui allient luxe conceptuel et matériel. La villa Lemoine est la dernière grande maison bourgeoise du XXe siècle, elle recevra en 1998 l’Équerre d’Argent.
Une année plus tôt, à 3 km de là, dans la plaine, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal terminaient la maison Latapie. La maison, simple et modeste, fait de l’économie de la construction le sujet exclusif de l’élaboration du projet. Fabriquée de matériaux courants et industriels sur un modèle structurel hybride de hangar et de serre, la maison Latapie anticipe à la fois les questions climatiques et économiques qui structurent l’architecture du XXIe siècle.
Les deux projets peuvent être vus comme l’exploration opposée des registres de l’esthétique capitaliste. D’une part, celui de l’opulence et de l’économie illimitée, incarnée par la complexité d’une maison pittoresque assez ample pour devenir un monde en soi. De l’autre, celui de la pauvreté, de la banalité et de la simplicité qui prend la forme d’une maison tout aussi étrange, paisiblement rangée dans une ruelle sans histoire.
Maison pauvre ou maison riche, ces deux projets incarnent les formes domestiques d’un capitalisme polarisé. Quelques décennies plus tard, ils apparaissent aussi d’un autre temps. La banalité de l’architecture pauvre se révèle souvent moins héroïque que celle de la maison Latapie. Le capitalisme poétique et hallucinatoire célébré par la villa Lemoine incarne une époque révolue ★
Sébastien Martinez-Barat
Ce qui reste par UHO • Des après-midis dans les data centers par GRAU architectes • Le langage de la spéculation par Philine Schneider et Nike Kraft • Que peut-on prévoir? par Guillaume Chevillon