Perdre le pouvoir

En énonçant « perdre le pouvoir » comme titre et injonction, nous espérions recevoir de la part des contributeur·ices invité·es des éloges de la faiblesse comme façons d’agir en architecture. Nous pensions que de ce «devenir faible » pouvait émerger des attitudes de conception informelles, plus agiles et délestées du statut de l’auteur·e architecte. Un mode mineur, qui laisserait de côté la gloire des concepteur·ices pour des récits nouveaux, circonstanciés et sans héro·ïnes. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Ou du moins cette nouvelle diplomatie du projet et ses quelques conclusions hâtives se retrouvent par bribes, disséminées dans les textes, au détour d’un récit de projet, d’expériences militante et pédagogique, de considérations historiques. Ce que partage l’ensemble des contributions est d’énoncer l’architecture, au sens le plus élargi du terme, de l’objet au territoire, comme site de reconfiguration permanente des enjeux de pouvoir. Ce pouvoir qui se trouve qualifié selon les circonstances, de normatif, d’institutionnel, de néolibéral, de colonial, de sexiste, de raciste, de spéciste… L’architecture, celle que l’on pratique ou que l’on conçoit, y est décrite comme un terrain de luttes souvent invisibles, cachées dans les faits architecturaux les plus anodins, toujours baignées de politique, quand bien même elle se présente sans atours et triviale.

À travers la considération de quelques pupitres qui ont marqué l’histoire de la prise de parole, Benjamin Lafore retrace de façon explicite les liens entre dispositifs architecturaux et énoncés politiques. Ici, l’objet « pupitre » institue ou destitue les récits militants et partisans, sacre les corps victorieux ou défait les perdants. Comment l’architecture distribue-t-elle la parole et qui fait-elle taire ? Au-delà des corps humains, le récit de l’aménagement d’un cours d’eau par le groupement Superpositions désigne les techniques d’une ingénierie de l’indéterminé, du laisser faire qui encapacite la rivière pour qu’elle puisse prendre forme et se déformer à nouveau. Des pupitres et une rivière, des sanglières et des bombes de graines, des raisins et du pétrole, sont les protagonistes de ce numéro. Les contributions racontent pour une part la passation de pouvoir des architectes à d’autres entités, leur confiant la capacité d’agir et de se transformer. C’est ce que murmurent les ectoplasmes élégiaques de S/He, fRoche et les promesses du « déprojet¡ » de MLAV.LAND. Tandis que d’autres sont des récits de résistance pour objectiver et amenuiser les mécanismes de pouvoir dont l’architecture se fait relai. Céline, l’architecte star de la fresque romanesque de Kevin Lambert, est une héroïne néolibérale qui, malgré son aura, a perdu toute capacité d’agir sur la ville. Dans l’extrait, elle s’étonne d’être la cible de protestations citoyennes, de perdre un pouvoir qu’elle n’avait déjà plus ★

MBL Architectes

Divagations d’une rivière par Superpositions • Les Sanglières. Au-delà de la propriété privée par Elsa Brès • Récolter les fruits de la terre brûlée par forty five degrees • Sucre noir par MLAV.LAND • Décoloniser l’enseignement de l’architecture par Pelin Tan • La green guérilla. Un jardinage contestataire par Hugo Rochard •  L’ordre des pupitres par Benjamin Lafore • Que notre joie demeure par Kevin Lambert • La chambre des mémoires à venir par S/he, fRoche