Quand vient la nuit

-édito- Le siècle précédent, inauguré par le mouvement moderne, a donné une visibilité nouvelle à la culture architecturale. Dès le début du 20e siècle les expositions et les revues se multiplient assurant la diffusion et la notoriété d’idées radicalement différentes. Cette nouvelle médiation de l’architecture s’accompagne d’une focalisation de l’architecture comme chose visible. Les images prennent un rôle central dans la transmission, la compréhension et la conception de l’architecture. Ce biais picturesque / pittoresque est un fait majeur de la culture architecturale contemporaine.

Quand vient la nuit, le domaine du visible s’amenuise. L’exploration de l’invisible, et la formulation de l’architecture comme un phénomène au-delà de l’oculaire, est la promesse d’une autre histoire de l’architecture, d’autres conceptions. Cachée au cœur des villes la nuit, les premières boîtes de nuit des années 60 deviennent des territoires d’innovation sociale, artistique et technologique. Coupées du monde elles mettent en forme des mondes alternatifs et synthétiques. Les limites du temps et de l’espace y sont éblouies par la quête d’un infini libératoire. La combinaison du son, de la lumière et des psychotropes ouvre un espace sensuel et technoludique baigné d’images et de sons, changeants et adaptables. L’architecture y est ambiance, environnement et son expression physique est rendue secondaire.

Carlotta Darò retrace cette émergence conjointe de ces premières boîtes de nuit et des avant-gardes architecturales qui en font leur territoire d’expérimentation. Pol Esteve Castelló étudie l’objet phare de la culture de la danse, la boule à facettes, objet rituel qui catalyse la lumière synthétique et produit un espace intangible tournoyant constitué d’une multitude de points mobiles.

Javier Fernández Contreras, par le biais d’une expérience pédagogique et éditoriale, révèle cette gouvernance du visible dans la culture architecturale. Au travers de l’histoire critique de la revue El Croquis, il rappelle les conventions du visible dans la transmission de la culture architecturale. Le poster central de ce numéro est une boîte de nuit éphémère et expérimentale, vide et lumineuse, rappelant que l’essentiel est hors-champs ★

Sébastien Martinez-Barat

Genève, l’heure bleue, la nuit par les étudiant·e·s HEAD – Genève • Déconstruire la boule à facettes par Pol Esteve Castelló • El Croquis, une édition nocturne par Dr. Javier Fernández Contreras • Night-clubs et discothèques : visions d’architecture par Carlotta Darò