Sans construire, sans démolir

-édito- Concevoir sans construire et sans démolir, n’est pas une posture de démission. Il s’agit ici de faire l’hypothèse d’une architecture, non plus comme l’art d’édifier, mais plutôt comme une stratégie de considérer, réparer, requalifier. Au-delà de l’évidence du « faire-avec » et du « déjà-là », les auteur.rice.s de ce numéro explorent et élaborent des architectures faites de déplacement, de remplacement, de considération. À la fin du 20e siècle, l’exposition « Deconstructivist Architecture » ( 1 ) annonce la décomposition et la fragmentation d’une architecture pensée comme un langage. L’architecture y est le sujet de l’architecture et célèbre son raffinement tant conceptuel que formel. Aujourd’hui, les ressources manquent et la diversité du vivant s’amenuise, l’architecture n’est plus le sujet. Ce sont ses effets qui nous préoccupent. L’humanité a édifié en quelques décennies plus de bâtiments qu’en 300 000 ans. La construction est désormais dispensable. Ne pas faire est un projet.

Charlotte Malterre-Barthes propose de suspendre la construction par un moratoire. Cette mise à l’arrêt est aussi l’occasion d’instaurer un lien nouveau et salutaire entre l’économie, l’architecture et le travail. Le sanctuaire d’Ise au Japon peut être un exemple d’une pratique de l’architecture qui s’inscrit au-delà de la chose construite, au-delà de la matière, et s’affirme comme un rituel de soin, un savoir-faire de maintenance. Le Lieu Éjactementaire témoigne lui aussi de cette volonté de ne pas faire. En cessant de transformer nos déchets en une nouvelle ressource productive, il suggère de nouveaux rituels, ceux d’une accumulation de matière inerte, vouée à un trop-plein inévitable. Les travaux des étudiant.e.s qui complètent ce numéro laissent entrevoir une sensibilité neuve pour une architecture liminale, laissée au seuil de la chose tangible, pensée comme acte de maintenance, sans souci de forme ni de visibilité. Ne pas construire, ne pas démolir n’est pas un aveu d’échec mais plutôt une possibilité de reconfigurer les affects ★

Benjamin Lafore
Sébastien Martinez-Barat

( 1 ) Deconstructivist Architecture, Commissariat : Mark Wigley. Museum of Modern Art, New York, 1988.

 

Neustadt par Julius von Bismarck et Marta Dyachenko • Le Lieu Éjactementaire par Alice Rappeneau et Loïc Sizorn • Le Sanctuaire d’Ise, récit de la 62e reconstruction par Jean-Sébastien Cluzel et Masatsugu Nishida • Suspendre la construction par Charlotte Malterre-Barthes