Vision de nuages

-édito- S’inscrivant dans une longue tradition de la peinture de nuages, André des Gâchons débute durant la guerre 1914-1918 une série de relevés météorologiques quotidiens en tant qu’observateur bénévole pour le service météorologique national. Un siècle plus tôt les nuages sont décrits, classés et nommés, et la peinture s’approprie cette nouvelle fortune scientifique du climat. Les nuages ne sont plus allégoriques mais bien un fugace climatique qui échappe à toute représentation définitive. Lorsque André des Gâchons commence ces relevés, il s’appuie sur ce double héritage scientifique et artistique (Constable, Turner et Monet) pour mettre en place des quadriptyques associant mesures et peintures sur de petits formats. Ces cartes postales climatiques de chiffres et d’aquarelles, envoyées depuis un siècle passé, nous préviennent aujourd’hui, oubliées puis considérées à l’heure où le climat nous inquiète. L’architecture a, au cours du 20e siècle, incorporé de manière significative des motifs de nuages, notamment à partir des années 1960 avec le développement conjoint d’une culture écologique et l’idée d’une architecture comme environnement intangible et impermanent. En témoignent les premiers dessins de Superstudio qui associent des formes de nuages colorés ou discrets à la géométrie abstraite de ce qui sera bientôt le Monument Continu, ou encore les nuages de Hiroshi Hara qui peuplent son architecture comme autant de symptômes de constructions qui veulent échapper à leur permanence. Devenu dans la culture numérique synonyme d’archives hors sites disponibles partout et reconfigurées en permanence, le nuage figure à la fois un objet temporaire et informe, dont l’existence s’inscrit dans des phénomènes transcalaires à l’échelle locale et planétaire, celle de la molécule d’eau et du ciel, de l’ordinateur et du réseau. Après la grotte et la cabane, la pyramide et le labyrinthe, le nuage pourrait être l’allégorie de l’architecture de notre époque. Pour ce numéro dédié au nuage, Plan Libre a invité, en tant que rédacteur en chef, la Truant School (initiée par Tiphaine Abenia, Max Bondu, Uri Wegman, Myriam Treiber). Une plateforme de recherche et d’invention, d’enseignement et d’action qui, au travers de ses investigations sur les nuages, dessine un projet épistémologique, la promesse de savoirs qui se reconfigurent et s’énoncent dans la multitude sans jamais prendre forme totale et définitive ★

Sébastien Martinez-Barat

 

Fenêtres sur météores par Truant School • Nuages interstellaires par Annalisa De Cia • D’ici, on a vu Fukushima. Et de là, aussi par Sophie Houdart • Manifeste fugace par Truant School