Voitures

-édito- À propos des autos — L’allégorie Spirit of Ecstasy triomphe sur un fronton sans échelle. Il oscille entre un temple antique ou la calandre d’une Rolls Royce selon qu’il prenne place au milieu d’un feuillage ou au centre d’un paysage quelconque sur le célèbre photomontage de Hans Hollein ( 1 ). Cet illustre fronton incarne les relations tantôt denses, tantôt diffuses entre culture automobile et architecturale qui ont produit des rencontres notables. Légions sont les architectes à s’être lancés dans la conception d’un véhicule, traduisant des situations urbaines ou des loufoqueries formelles et inaugurant parfois une production industrielle. Notons les flamboyantes berlines de Georges-Henri Pingusson (1930), la fusée de Frank Lloyd Wright roulant dans les allées de Broadacre City (1958), la dodue Urbaina d’André Bloc et Claude Parent (1969), la sur-structurée VSS de Renzo Piano et Peter Rice (1980) à l’origine de la Fiat Typo, la transparente Fiat de Jean Nouvel (2004), l’autonome Nissan de Norman Foster (2016). Bien que rare, l’enthousiasme pour cette typologie perdure.

Dans le chapitre « Des yeux qui ne voient pas les autos » ( 2 ), Le Corbusier juxtapose le Parthénon au profil équilibré d’une Delage GS. Plus que le paquebot, l’automobile revêt un idéal industriel qu’il souhaite appliquer au logement : « il reste à confronter nos maisons et nos palais avec les autos (…) dans la quête perpetuelle d’un standard ». Au-delà de tout fonctionnalisme, pour l’exposition inaugurale du MOMA rénové, Philip Johnson, flanquera le jardin du musée d’une collection de 8 véhicules choisis pour leurs qualités formelles immédiates. Le directeur du département Architecture les considère comme des « sculptures roulantes » ( 3 ), des manifestes esthétiques auquel l’architecte se doit d’être attentif. Pour la génération suivante, elles deviennent un outil d’observation des environnements qu’elles ont elles-mêmes généré. Derrière le pare-brise, « l’œil fixé sur le rétroviseur », le critique Reyner Banham visite l’Autopia, ce Los Angeles sans limite ( 4 ). À Las Vegas, Venturi-Scott Brown étudient les effets du vernaculaire commercial en tant que flâneurs mais en automobile.

Ce numéro réunit quatre discours complémentaires sur les autos, à l’échelle de l’objet, de la ville, de l’architecture et de l’industrie. Alain Bublex propose une histoire illustrée des habitacles à travers les techniques, les formes et les usages. La cellule de recherche de Dominique Perrault fait l’hypothèse de leurs disparitions imminentes et propose une stratégie pour redéployer les parkings souterrains. L’agence Muoto présente le concours d’un palais joyeux où cohabitent individus et nouveaux types de véhicules. Et Alexandre Mezra dénonce l’incapacité actuelle des industriels à renouveler les imaginaires et l’automobilité ★

Benjamin Lafore, rédacteur en chef invité

( 1 ) Frédéric Chanclu, Rolls-Royce devant feuillage, Série Romance, 2020 (couverture) / Hans Hollein, Rolls Royce Grill auf Schloss Schrattenberg, 1966.

( 2 ) Le Corbusier, Vers une architecture, Editions Crès et Cie, 1923.

( 3 ) Philip Johnson (curator), 8 automobiles : an exhibition concerned with the esthetics of motorcar design, at the Museum of Modern Art, New York, 1951.

( 4 ) Reyner Banham, Los Angeles : The Architecture of Four Ecologies, Harper and Row, 1971

 

30 automobiles par Alain Bublex • Car park futures par DPA-X • Fun Car Palace par Studio Muoto • Le SUV n’a jamais été une voiture conceptuelle par Alexandre Merza